Maroc / peinture / Bill West / DE CETTE TERRE QUI FAIT SIGNE

Un paysage et un homme qui vient à sa rencontre. Une terre habitée, lumineuse et graphique, tendue de signes que le peintre, autant que le marin, apprennent à déchiffrer. Quand il aborde ce rivage marocain, Bill West comprend d’emblée que la nature même du lieu va au-delà de l’anecdote. De la même façon que le navigateur cherche à saisir la nature profonde du ciel et de l’eau, le peintre s’attache au message inscrit dans ces replis minéraux. De quel élan sont ces constructions posées comme des sémaphores sur le rouge des collines ? De quelle eau invisible ce ciel s’abreuve et ses arbres aussi, comme des mains tendues ? Peindre pour en découvrir la secrète volonté. Ce n’est pas seulement un paysage, arrêté sur l’image, mais un enchaînement qui ouvre la compréhension du temps. Bill West attache une grande importance à ce que le signe contient. Sa peinture est à la même image. Donc, il est possible de poser la question une fois encore : qu’a-t-il vu du Maroc, en approchant de son rivage ? Le ciel, la pierre, le vent jaune ? le déplacement de la couleur en aplats de sienne, les falaises immenses, rouges, comme des cuirs qui résonnent ? les constructions blanches, cubes de lumière posés sur l’océan vibrant ? Ce paysage est une peinture contenue et contenante. Le mouvement et l’immobilité le traversent et l’équilibrent. Bill West est un marin. Son silence s’est refermé sur la question. Mais les toiles apportent un début de réponse.

Abla Ababou, qui était son amie, montre aujourd’hui plusieurs de ses toiles dans une exposition collective et mémorielle. Elle visite ainsi ses réserves et remet de la lumière sur des travaux plus anciens que l’on aurait tort d’oublier. Quelle œuvre que celle-ci, engagée dans plusieurs conversations plasticiennes, figurative, de nature morte, paysagère ou abstraite.

Sa motivation est de creuser et de faire apparaître les strates secrètes. Il peut s’agir d’un visage, d’une végétation paradisiaque ou d’une femme renversée dans un fauteuil.

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Installé au Maroc dans les années quatre-vingt, le peintre use alors aussi bien du dessin, du pastel, de l’huile, de la gouache que du collage. Par ces gestes multiples, sa motivation semble être de creuser et de faire apparaître les strates secrètes. Il peut s’agir d’un visage, à l’expressionnisme féroce (lithographie au cigare, non datée), d’une végétation paradisiaque (l’arbre, 1999) ou d’une femme renversée dans un fauteuil. Le prétexte n’est plus seulement la peinture, mais le sentiment inclus, qui est le désir, l’émerveillement, la lumière transversale et sur ce courant, une barque posée, un corps… Quant au dessin même, à l’image de ses « Palmiers (1999), impossible de ne pas y voir l’Afrique aux limites de l’oasis. Débarrassée de toute anecdote, de toute localisation, dans l’essence même d’un mouvement, celui d’un homme qui marche, en route sous ce ciel de terre, cette terre échancrée de bleu. L’homme-passage, l’ombre en mouvement.

« Sa touche est rapide, incisive et libre. Transparence, collage ou accumulation de matières transforment le caractère du paysage, du sujet (…). Seule l’âme, l’histoire du lieu et les rencontres transcendent l’œuvre, » disait à ce sujet Abla Ababou, dans l’un des rares textes consacrés à l’artiste. Dans cette direction, il faut regarder. Au-delà de la forme interrompue, ce qui tend le tableau, comme une voile, et lui confère son mouvement intime. Le terme de la navigation est dans cette proximité. Pendant les quarante dernières années de sa vie, Bill West aura vécu ce quotidien des éléments. Et de la même façon que son bateau vient aux limites du vent, il pose sur la toile la plus intime des trajectoires. La peinture et la navigation sont de la même essence. Bill West en écrit les chiffres, les pavillons de la couleur et du vent. Damiers, écritures imaginaires, visages reformulés, à l’envers de son tropique, un paysage se recompose.

« L’œil de Bill West est rivé sur ce qui exagère dans cette nature. Une aubergine est plus qu’un légume quotidien. (…) Ce ne sont pas des légumes, ce sont des visions, une sorte de folie qui refuse de s’intégrer dans le réel. Après tout on ne demande pas à un artiste de copier le réel, mais de le réinventer, le recréer, le changer au point de le trahir. » Tahar Ben Jelloul


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Hors réserve, du 6 octobre au 4 novembre, abla ababou galerie, Rabat (Maroc).
https://www.ablaababou.com/
R. Calmé (ZO mag’)

Repères :
Bill West est né en 1942 à Moorlinch, Somerset, (Angleterre). Il a étudié l’art à la Walthamstow Art School (1962-1966) et au Royal College of Art (1966-1969).
Marin confirmé, il a mené plusieurs navigations extrêmes, en solitaire, dans les eaux arctiques. A partir de 1996, il partage son temps entre l’Angleterre et le Maroc où il s’est établI.
Il est décédé en 2021.

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