Dans un tableau d’Esrafil Shirchi, il existe un instant où le texte calligraphié tend à se dissoudre, au moment où il touche à un mur tapissé de roses. Les caractères flottent dans l’espace. Les fleurs sont de l’autre côté du trait, qui sépare le mot de l’image. De la même façon, dansent les drapeaux, couverts de saintes paroles. Et, de la même manière, la peinture de Golnaz Fathi suggère ces instants de l’essence. Il est difficile de prétendre que la toile de Shirchi est un commentaire sur la vacuité de la parole. En tout cas, la peintre iranienne, formée elle aussi à la calligraphie traditionnelle, évoque ce franchissement. Si un mot s’articule avec peine, aussi belle soit son écriture, le sens est à chercher ailleurs, dans la volonté de celui qui le trace ou dans l’essence qui l’inspire. La beauté des roses, les jardins d’Ispahan, la main qui vient à la bien aimée. Le mouvement.
Golnaz Fathi a fait ses études d’art à Téhéran dans les années 80. A cette époque, elle a découvert la calligraphie traditionnelle. L’Iran n’est pas un lieu anodin. Entre l’Orient lointain et l’Occident, il véhicule les langues, il croise Darius et Alexandre, mais en gardant aussi dans sa main l’encre chinoise et cette fabuleuse fluidité du pinceau. L’écriture persane et celle de l’Empire doivent respirer au même mystère.
La peintre s’est alors passionnée pour ces croisements possibles, ces haltes caravanières où les chevaux courent dans le même sens. Il faut regarder ce mouvement, ces crinières, le vent qui couche l’herbe, les nuages soulevés par les sabots. Il faut entendre cette course sur l’herbe et le parfum de l’armoise que le galop vient froisser. Dans ce matin d’Asie centrale, les deux calligraphies se rencontrent. Tout comme se rencontre dans cette peinture moderne, le contemporain. La route qui va d’est en ouest n’est plus la même. Ses couleurs ont changé et les camions qui la parcourent véhiculent d’autres pensées.
» Mon travail ne contient pas de texte écrit, seulement des formes à regarder avec des yeux picturaux. » Golnaz Fathi
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La dernière série montrée à l’October gallery (Londres) est à cette image. Comme dans son travail précédant (A Long Line Without a Word, Pearl Lam Galleries, Shanghai), Golnaz Fathi introduit le visiteur à la limite de la compréhension formelle. Elle parle de liberté offerte, en n’imposant à la « lecture » aucun message définitif. L’artiste dit : « Mon travail ne contient pas de texte écrit, seulement des formes à regarder avec des yeux picturaux. Cela permet aux spectateurs de n’importe quel pays la même liberté d’interprétation qui se produit au moment de la création. Il ne peut pas être lu avec l’œil, mais doit être compris avec imagination et lu par le cœur. » Il n’y a aucun mot à chercher en tant que tel, mais une confrontation à la couleur et au dessin dissout. De la même façon que les étendards battent au vent et rendent invisible le nom, le lieu, le sentiment. Golnaz nous renvoie à notre propre compréhension. La couleur violente, primaire, la confrontation du rouge et du bleu dans des aplats terribles suffit. Elle n’a aucun besoin de commenter la réalité qui l’entoure, des affrontements prévisibles, de l’incompréhension des hommes… Aucun besoin de dire combien ce langage nous amène à l’abîme. Il y a longtemps que l’homme est dans cette chute et ce vol répétés.
Il faut du temps avec la peinture, comme dans un jardin, dans le parcours des massifs, la recomposition du paysage et de la parole. Peut-être, et c’est juste une hypothèse, la peintre iranienne dessine-t-elle dans le chaos, les éléments de la possible lumière, main dans la main avec la probable obscurité.
« Les « scripts » que l’on trouve dans ces œuvres sont destinés à être totalement illisibles. J’écrase souvent les marques qui sont proches de suggérer des significations, pour m’assurer qu’elles restent illisibles. Cela ne signifie pas qu’ils sont totalement inintelligibles. Seul l’acte d’écriture est effectué… » Golnaz Fathi
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« Aucune pluie n’éteindra cet incendie », du 27 avril au 10 juin 2023, Golnaz Fathi, October Gallery, Londres (GB).
RC (ZO mag’)
Photos : © Golnaz Fathi et avec l’aimable autorisation d’October Gallery, Londres.
A lire : http://islamicartsmagazine.com/magazine/view/art_without_translation/
Repères :
Golnaz Fathi est née en 1972 à Téhéran. Elle a étudié le graphisme à l’Université islamique Azad, où elle a obtenu un baccalauréat en 1995. Elle a ensuite étudié la calligraphie persane traditionnelle, recevant un diplôme de la Société iranienne de calligraphie. Fathi a été nommée meilleure femme calligraphe par la Société iranienne de calligraphie en 1995.
Expositions individuelles (sélection) :
2019 : Let’s Pretend Everything Is All Right, Sundaram Tagore Gallery, New York, USA.
2018 : A Long Line Without a Word, Pearl Lam Galleries, Shanghai, Chine.
2016 : Contemplations, Sundaram Tagore Gallery, Gillman Barracks, Singapore.
Line|Khat, The Third Line, Alserkal Avenue, Dubai, UAE.
2015 : Golnaz Fathi: Every Breaking Wave, Sundaram Tagore Gallery, Hong Kong, Chine.
2014 : Dance Me to the End of Night, October Gallery, Londres, UK.
2013 : The Living Road, Pearl Lam Galleries, Shanghai, Chine.
Golnaz Fathi, Sundaram Tagore Gallery, New York, USA.
Falling Leaves, The Third Line Gallery, Dubai, UAE.
2010 : Liminal-Subliminal, October Gallery, London, UK.
Controlled Chaos, The Third Line, Dubai, UAE.
Ride Like the Wind, Sultan Gallery, Kuwait City, Koweit.
2009 : Doha Series, The Third Line, Doha, Qatar.
2008 : My Freedom, Xerxes Gallery, Londres, UK.
Sleepless Nights, The Third Line, Dubai, UAE.
2007 : Beyond Words, La Fontaine Centre of Contemporary Art, Manama, Bahrein.
2006 : Golnaz Fathi, The Third Line, Dubai, UAE.
2005 : Golnaz Fathi, Space SD, Beyrouth, Liban.
Un-Written, The Third Line, Dubai, UAE.
Virtual Painting Exhibition, Arte East (online).
Espace SD, Beirut, Liban.
Maison des Jeunes et de la Culture de Neuilly, Neuilly-sur-Seine, France.
2004 : Agence Le Carré Bleu, Paris, France.
Galerie L’oeil du Huit, Paris, France.
Golestan Gallery, Téhéran, Iran.
2002 : Golestan Gallery, Téhéran.
2000 : Golestan Gallery, Téhéran.
Shahr-e-Ketab Bookstore of Niavaran, Téhéran, Iran.
1999 : Seyhoon Gallery, Téhéran.
1998 : Seyhoon Gallery, Téhéran.
Dernières expositions collectives :
2020 : Atmospheres, October Gallery, Londres, UK.
2019 : The Decorated Word: Writing and Picturing in Islamic Calligraphy, Metropolitan Museum of Art, New York, USA.
Women’s Work, Sundaram Tagore, Singapour.
2018 : Crossfades and Drawn Forms, Pearl Lam Galleries, Singapour.
Transvangarde, October Gallery, Londres, UK.
2017 : Group show, Sundaram Tagore, Gillman Barracks, Singapour.
All Happens After Sunset…, MoCA Art Pavilion, Shanghai, Chine.
Quotidian, Pearl Lam Galleries, Shanghai, Chine.
2016 : Labyrinth(s), Pearl Lam Galleries, Hong Kong, Chine.
In Silence, Pearl Lam Galleries, Singapour.
2015 : Frontiers Reimagined: Art That Connects Us, Museo di Palazzo Grimani Ramo Grimani, Venice, Italie.
Writing Non-Writing, Museum of Contemporary Art, CAA, Hangzhou, Chine.
International Calligraphy Exhibition, Wafi, Dubai, UAE.
2014 : Approaches to Tradition: Neo-Traditionalism in Contemporary Iranian Art, Tehran MOCA, Iran.
Marked: Contemporary Takes on Mark-Making, Sundaram Tagore Gallery, Hong Kong, China; New York, USA.
35 Years of Transvangarde: Contemporary Art from Around the Planet, October Gallery, London, UK.
2013 : Nun Va Al Qalam: Contemporary Muslim Calligraphy, The Islamic Arts Museum, Kuala Lumpur, Malaisie.
Qalam: The Art of Beautiful Writing, Birmingham Museum, Birmingham, UK.
To Be a Lady, An International Celebration of Women in the Arts, Sundaram Tagore Gallery, Singapour.
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