Maroc / photographie / Hakim Benchekroun / AU MATIN, LA POUSSIERE QUI S’ENVOLE.

Il est difficile de savoir quel a été le scénario exact. Est-ce que cette décrépitude fut longue à venir ? Ou bien d’un seul coup, un matin, les lieux se vidaient-ils d’eux-mêmes ? Les photographes du Maghreb sont nombreux à l’avoir remarqué, voilà une certitude, qui promènent leur attention dans ces ruines, au fond de cette solitude de béton et de formes en dissolution. Architecte de formation, Hakim Benchekroun parle d’un état d’obsolescence. Voilà un terme qui tiendrait presque de la géométrie et qui signifie que ces endroits sont hors d’usage. Cubes pleins et creux, périmés. Cubes pleins et creux, périmés. Lieux fossiles, tombeaux d’eux-mêmes.

Au fil des ans, le photographe marocain est devenu un témoin très attentif de ces lieux. Ses images en font une observation pleine de précaution où le texte, le chiffre se perdent dans la grisaille des escaliers et des coursives. Etonnante similitude avec ces navires à l’abandon, qui rouillent sur des mers enterrées. Témoin cette image que la galerie  Abla Ababou (Rabat) expose actuellement. Elle s’intitule « Dar Rifiine » et montre les décombres d’un palais, ou plutôt d’une réplique, dans ses plâtres écaillés et ses effondrements de béton. « L’ambition n’est jamais d’en dégager l’état de désolation, mais d’en exhumer l’existence triomphante et se délecter de l’inquiétante étrangeté qui se dégage de ces espaces », dit-il à ce sujet. Hakim Benchekroun ou l’archéologie émotionnelle de la dissolution. On pense au travail assez similaire que Roxane Daumas avait mené sur les vestiges de Sidi Harazem (station thermale des années 60). Cette même mélancolie de l’abandon. Ces lieux sont des corps abandonnés, semblent-ils dire, qui continuent de dire l’illusion, l’ancienne beauté, le naufrage que rien n’arrête.

Lost In Morocco, N 35° 6’ 55.728” | W 3° 2’ 10.243” (2019)

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« Lost in Morocco » est une série dont les premières images ont été montrées en 2017, aux Nuits photographiques d’Essaouira. Précédemment, l’architecte se penchait sur ce croisement plasticien entre le plan et le vestige, entre la forme éteinte et ce qu’il reste de l’idée. Ici, il revient à un constat strictement photographique. « Lost in Morroco » s’enfonce au travers des ruines, plans fixes dans ce film lent et intraitable qui est le paysage, ou bien le temps. A plusieurs reprises, il fixe ces dalles muettes, soubassements restés sans suite, ou alors, ces fenêtres vides qui donnent sur une immensité de montagnes, dont on ne sait si elles sont une reproduction ou la vérité de la perspective. Si vérité il peut y avoir. Les images de Benchekroum parlent de l’illusion, du rêve interrompu, et au matin, dans cette grisaille qui se lève, de la poussière qui s’envole.

« Quand ma route croise celle d’un lieu, (…) j’aime prendre le temps de faire connaissance avec mon sujet, d’en observer les atours et les cicatrices. Ma photographie n’est pas de celles qui ‘‘capturent l’instant’’ mais essaie plutôt de se saisir du caractère éternel de l’artefact. » Hakim Benchekroun

« Lost in Morocco », de Hakim Benchekroun. Du 28 janvier au 20 avril 2023, galerie Abla Ababou, à Rabat (Maroc).
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : DR and by courtesy galerie Abla Ababou.

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Repères:
Hakim Benchekroun est né en 1989 à Rabat.
Photographe et vidéaste, il a fait des études en architecture et abouti un master en ingénierie culturelle. Son travail explore le paysage architectural marocain.

Expositions
2023: 1:54 Marrakech (collective), « Mémoires et seuils », Galerie Noir sur Blanc, Marrakech (Maroc).
« Lost in Morocco », de Hakim Benchekroun, galerie Abla Ababou, Rabat (Maroc).
2021: Chroniques d’un monde qui vient (collective), Alyssart Galerie, Rabat, Maroc.
« Une nouvelle Génération” carte blanche à Fouad Bellamine, Galerie Abla Ababou, Rabat.
2019: 1:54 Art Fair, Galerie du Bab Hotel, Marrakech, Maroc.
2018: Points de vue (collective), Galerie Abla Ababou, Rabat.
Galerie des Insolites, Tanger (Maroc).
OFF Photo Festival, Essaouira (Maroc).
2017: 1er Prix aux Nuits Photographiques d’Essaouira.
Salon du Livre Paris 2017 (collective), Pavillon d’honneur, Paris, France.
Diasporas, Columbia Global Center Paris & Vallée Village, Paris.
2014: Le Maroc Contemporain – Architecture, Ville et Patrimoine (collective), Institut du Monde Arabe, Paris. Rabat 2013: Patrimoine Mondial de l’Unesco, Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc, Rabat, Maroc.

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