C’est une photo, un bout de lettre, un objet du quotidien, c’est un contour et c’est un plein. Absent et présent dans un même temps, mais de façon si cruelle et tellement nécessaire. Maya Louhichi le dit avec des mots contenus. Elle ouvre un classeur et trouve des images d’archives. C’est une partie de son existence qu’elle ne connaît pas. Les photos ont été prises en Tunisie par son père, le réalisateur Taïeb Louhichi, avant la naissance de sa fille. Taïeb Louhichi n’est pas là pour lui expliquer cette terre qui est pour moitié la sienne. La terre africaine qu’il raconte dans ses films et qu’il partageait dans ses dialogues avec sa fille. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas.
Les notes restent, les images de la Tunisie, les maisons remplies de bruit, de mots, remplis de la présence. La mort est à l’inverse, elle vide et elle creuse, elle met le manque dans la lumière qui n’en est plus. Maya recompose donc ce contenu nécessaire. Elle le fait avec douleur, avec difficulté, dans ce terrain rempli de trous et de pierres, d’angles et de vide. « En travaillant sur la représentation du deuil au quotidien, le vide, l’absence, je me suis aperçue que j’avais peur de perdre également une partie de mon identité, moi qui suis française par ma mère et tunisienne par mon père qui n’est plus là désormais. Où sont mes souvenirs ? Qui suis-je maintenant ? Et où est ce que je vais ? », dit-elle au moment de cette exposition à Tunis. Recomposer l’image première qui est à l’origine des autres, l’image qui est l’affection et la commune appartenance, la partie sud de la construction, c’est à dire de son métissage à elle, fille de mère française et de père africain.


D’autres photographes ont travaillé sur cette absence, et chaque fois ou presque, l’ouvrage est une restitution plasticienne qui va dans la nécessité du souvenir. Lebohang Kganye (Afrique du sud) superpose l’image de sa mère et la sienne, dans des albums reconstitués, où elle devient l’autre, à force de vivre cette représentation. Maya Louhichi interroge la relation et l’espace. La relation, parce qu’au-delà de la relation filiale, il s’agit aussi de ce monde qu’ils parcourent et qu’ils interprètent, la relation à l’espace dont ils viennent, entièrement ou pour partie, et que la photographe retient dans ses négatifs et ses collages.
C’est en cela que la photo de Maya Louhichi remplit sa fonction la plus organique. Elle est aussi complexe que ceux qui la portent, elle est métisse de formes et de propos, elle dit la souffrance de la disparition, mais de la manière la plus retenue, dans la pierre sèche qui enserre, dans le silence de ce soleil qui va se refermer. Le titre contient tout ou presque. Il est comme le caractère que le ciel trace. « Et dans la terre, je me souviens. »

« En travaillant sur la représentation du deuil au quotidien, le vide, l’absence, je me suis aperçue que j’avais peur de perdre également une partie de mon identité, moi qui suis française par ma mère et tunisienne par mon père qui n’est plus là désormais. Où sont mes souvenirs ? Qui suis-je maintenant ? Et où est ce que je vais ? » Maya Louhichi
« Et dans la terre, je me souviens », actuellement en cours de réalisation, aux Editions Arabesques Tunisie.
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: by courtesy Maya Louhichi
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Repères
Maya Louhichi est née en 1985 (Paris) est une artiste visuelle franco-tunisienne. Outre les différents workshops depuis Arles (Julien Magre) en 2018, elle a suivi la session XX de l’ENDA, Biennale de Paris, de 2019 à 2020.
Maya Louhichi sera présente à la Biennale africaine de la photographie, tenue à Bamako (Mali) du 20 octobre au 20 décembre 2022.
Expositions collectives :
2022: Et dans la terre, je me souviens, Jaou Photo Tunis, Tunisie.
Et dans la terre, je me souviens, 18ème Sommet de la Francophonie à Djerba, Tunisie.
Et dans la terre, je me souviens, Les Rencontres de Bamako – Biennale Africaine de la Photographie, Mali.
2019: Et puis le vide, Festival de la photographie d’Ormesson sur Marne, France.
Taieb, un homme – des rêves, Gorée Regards sur cours, Sénégal.
2017: La pollution des littoraux , exposition itinérante, Espace Yvonne Guégan, France – Québec.
2013: La danse et l’urbanisme, Festival Photo des Femmes d’Alfortville, France.
2012: Festival Photo des Femmes d’Alfortville, France.
2012 Urban Sports , Centre culturel de Diosgyor, Hongrie.
Expositions individuelles:
2012 L’esthétique de la gestuelle sportive, CIDJ Paris, France.
Urban Sports , Miskolc Factory Arena Fesztival, Hongrie.
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