Vous l’aurez remarqué, la photographie revêt souvent une forme d’urgence. Il faut à tout prix qu’on la prenne, là et maintenant, peu importe le reste : c’est un désir violent. L’image, le temps, la volonté d’interférer sur ça, c’est-à-dire la mortalité, et la durée antagoniste, sont dans une sorte d’accouplement obligé. Et puis il y a Hengki Koentjoro.
La première fois qu’on se croise, tout de suite, on pense à ce vieux copain qui vivait à une époque dans le Yosemite. Ce type photographiait lui aussi les montagnes noyées de brume, les arbres immenses que l’on appelle séquoias, et puis le déplacement du vent, l’invisible, l’indicible, qui est dans l’intervalle, à la frontière du blanc et du blanc. Il s’appelait Ansel Adams.
« J’avais vu ses œuvres originales dans une galerie à Carmel, en Californie. Cette tonalité et les détails d’un appareil photo grand format ont hypnotisé mon esprit conscient. Jamais dans mes rêves je n’ai pensé que la photographie en noir et blanc pouvait être aussi belle et pleine d’esprit et d’âme, » confie dans une interview (voir ci-dessous) Hengki Koentjoro. Ces deux là devaient se rencontrer et partager une bière sous El Capitan, le mur absolu, la quintessence de la pierre au pied du ciel sombre.
La photographie de Hengki fonctionne, elle aussi, comme une légende. L’un et l’autre sont nés de peintres chinois, jongleurs de l’encre et de la clarté. Le paysage est pour eux un poème philosophique et musical. Dans ce mystère que la lumière véhicule, à la lisière des mondes, ils attendent au-dessus du bac (révélation et révélateur) que l’obscur se découvre (f. 24), dans sa totale profondeur.
Les entretiens avec Hengki Koentjoro n’abordent que rarement l’aspect technique. Bien sûr, on sait avec précision quel boîtier il utilise, et ce n’est pas un hasard si Adams en possédait un aussi. Mais l’essentiel n’est pas là. Il serait à chercher dans cette immersion au sujet, dans cette contemplation attentive. La prise de vue et le séjour au laboratoire ne font que restituer cette émotion. Un tirage de Hengki Koentjoro passe ainsi, dans une fluidité des instants. Depuis cet émerveillement initial, depuis le passage dans le viseur, par cette information que livre la cellule, puis dans le bain et sur ce papier, au format le plus fidèle, le plus vaste, le plus fragile… qui est cette réalité première. Qu’il s’agisse d’une mangrove, d’une jetée, d’enfants qui nagent dans le contrejour aquatique, peu importe. Il s’agit de l’âme, que rien n’interrompt, qui n’a pas de fin et de commencement.
« Être en Californie a beaucoup aidé parce que la plupart des œuvres maîtresses d’Ansel Adams ont été photographiées dans la région du parc national de Yosemite. J’ai eu la chance de pouvoir voyager en Californie à la poursuite de mon rêve. » Hengki Koentjoro
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RC (ZO mag’)
Photos: ©Hengki Koentjoro
A lire: https://www.catalystinterviews.com/interviews/2019/7/3/hengki-koentjoro
images: http://www.hengki-koentjoro.com/
Repères:
Hengki Koentjoro est né le 24 mars 1963, à Semarang, dans le centre de Java (Indonésie). A l’âge de 11 ans, lui est offert son premier appareil photo (Kodak).
Il a poursuivi ses études au Brooks Institute of Photography de Santa Barbara (Californie). De retour en Indonésie, il s’installe à Jakarta en freelance et travaille principalement dans le domaine de la vidéo. Son travail noir et blanc est essentiellement consacré au minimalisme et à cette frontière de la lumière et de l’ombre, du yin et du yang.
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