Ghana / Edition / Ataa Oko Addo / QUE LA COULEUR TE SOIT DOUCE

Est-ce que la Mort joue de la trompette? Et les dieux conviés aux enterrements sont-ils des animaux souriants, avec des chapeaux? C’est possible! D’après les dessins d’Ataa Oko Addo, certains doivent même avoir des automobiles rouges. D’autres sont des arbres. Et il fait bon parler avec leurs branches et leur feuillage. C’est ainsi que le peuple Ga voit les choses. C’est de cette façon que le rituel Kpele pourvoit au Grand passage, dans la réjouissance et le pluriel de la couleur.

Les dieux conviés aux enterrements sont-ils des animaux souriants, avec des chapeaux?


Pendant toute sa vie, Ataa Oko a dessiné et construit pour les défunts les plus beaux véhicules. Des choses assez extravagantes, et plus encore. Ataa Oko ne se limitait pas au travail de menuisier: il entretenait aussi avec les divinités des rapports de voisinage. Et puis en 2004, il s’est assis à sa table, et il a pris sa boîte de crayons.

« Ses dieux sont souvent des humains à deux têtes, référence possible à son propre jumeau, il les faits également serpent, buffle, pierre, poisson. »


Quand elle le rencontre en 2002, Regula Tschumi a le souvenir d’un vieil homme plein d’hypothèses colorées. « Dans un premier temps, raconte-elle, Oko recherchait le plus grand réalisme (…). Mais au fil des ans, à mesure qu’il a gagné en sûreté, souvenirs et imagination se sont mêlés de plus en plus étroitement (…).  » L’artiste s’affranchit alors de la réalité, et les créatures spirituelles viennent au quotidien lui tenir compagnie.


Auteure de nombreux travaux sur ces croyances ghanéennes, l’anthropologue suisse envisage donc cette figuration comme autant de passerelles entre l’Ailleurs et l’ici. « Jeune, il a travaillé en forêt et les esprits lui sont fréquemment apparus« , relève-t-elle. « De la même façon, il cite souvent Mami Wata, pour avoir fait le métier de pêcheur. Si ses dieux sont souvent des humains à deux têtes, référence possible à son propre jumeau, il les faits également serpent, buffle, pierre, poisson. » Ils volent, ils grimpent, ils sourient du fin fond de la lumière et leurs lèvres portent des oreilles tambours.


Le travail d’Ataa Oko est donc doublement intéressant. Il renseigne sur la porosité des cloisons entre nos mondes. Mais il permet aussi de comprendre comment les deux sociétés (les dieux et les hommes) s’organisent dans leur fréquentation. Les Ga ont pour chaque chose la plus subtile écoute. Si le « monde » évoqué par l’artiste revêt une grande fantaisie, il reste néanmoins fidèle à l’harmonie fondamentale. Les arbres (résidence privilégiée), la gemmelité, le rôle des prêtresses, la bénédiction faite aux responsables publics: tout est mentionné, délicieusement coloré, flamboyant certes, mais respectueux de la grande ordonnance.

A l’intérieur de sa maison obscure et le plus souvent de nuit, quand il croyait voir les créatures spirituelles


Regula Tschumi, on le perçoit très clairement, a capté ce profond attachement. Elle est anthropologue certes, mais elle croise aussi un artiste véritable. « En décembre 2010, Ataa Oko est victime d’un AVC qui l’a empêché de dessiner pendant des mois. Il ne sortait presque plus de chez lui et n’a pu se remettre au travail qu’en juillet 2011. Il a commencé par refaire de petites esquisses de cercueils et de palanquins figuratifs, mais il avait de plus en plus de mal à les représenter…« , relate-t-elle. Puis les traits sont redevenus identifiables. « Il ne travaillait plus qu’à l’intérieur de sa maison obscure et le plus souvent de nuit, quand il croyait voir les créatures spirituelles qu’il dessinait« , poursuit-elle.


Des formes nouvelles sont alors apparues. Les dieux regardaient droit dans les yeux leur visiteur. C’était comme un appel, l’évidence d’une conversation à reprendre. Ataa Oko a pu rétablir le contact. Le 9 décembre, il pouvait maintenant les rejoindre.

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Ataa Oko Addo,
textes de Sarah Lombardi , Regula Tschumi , Lucienne Peiry et Atta Kwami, Editions Clandestin, 68 €.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: Regula Tschumi

Oeuvres visibles par l’intermédiaire de la galerie Magnin-A (Paris)
http://www.magnin-a.com/fr/artistes/presentation/1643/ataa-oko

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