Côte d’Ivoire / Peinture / Jean-Baptiste Djeka / QUI A PEUR DE L’OMBRE?

Toc-toc, fait la main sur le montant de la porte. Avant d’entrer dans un lieu, le peintre est un individu bien élevé : il frappe. De l’autre coté, une femme très vieille, habillée de bois et de métal rougi, enveloppée dans un tissu de terre, lui demande qui il veut voir. Jean-Baptiste Djeka lui donne le nom de ses Anciens. Ils sont en grand nombre et ont habité les environs de Bouaké. Ils étaient chaudronnier, pêcheur, chasseur mystique, ils jouaient d’instruments disparus et cultivaient le manioc. La porte s’ouvre d’un coup et le fétiche maternel, l’incandescente mémoire de ce qui fut et sera, le serre dans ses bras. Djeka vient de revenir à l’essentiel. La toile qu’il peint, prend alors toute sa clarté.

Aux yeux de Djeka, la peinture est un véhicule spécialement conçu pour ce type de rencontre. Asseyez-vous et regardez. Les toiles abondent de signaux, de recettes graphiques en tous genres, de formules ambiguës et totalement magiques, aptes à redonner l’espoir, et peut-être même refaire pousser des cheveux. Il faut plonger dans ces ricanements de masques. L’ombre devient alors plus lumineuse que le brûlant soleil.

« Mon travail se concentre sur l’héritage ésotérique africain. Je veux que l’observateur réfléchisse aux dimensions spirituelles et historiques de mes peintures. Elles sont comme un tambour (…) qui envoie de l’énergie à tout l’univers. » Non, aucune ambiguïté possible. La peinture établit le lien, et ces mots ont un sens. Dans le tourbillon des formes et l’abondance des mots en plastique, ils disent comment coule le fleuve et d’où vient la pluie.

« Le brassage et le métissage sont souvent perçus (…) par les Africains comme une perte de leur identité. Je pense que ce brassage, ce métissage sont l’avenir. Les Africains sont une partie prenante de ce brassage. » J-B Djeka

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S’il faut donner quelques repères, Jean-Baptiste Djeka a fait ses études d’art à Bingerville. Parmi ceux qui l’ont formé, on retrouve les noms d’Augustin Kassi, Diomande et Fadaïro. Les mots reviennent en mémoire. Ce dernier parlait un jour « de la communion avec les habitants du vide », et plus largement explorer « ce qui n’est pas perceptible mais qui existe dans la permanence ». Oui c’est du Fâ qu’il s’agit, qui est bien une note fondamentale de la gamme musicale. Le Fâ qui régit l’univers, la matrice, dans chaque élément qui existe, l’infini.

Donc, c’est dans ce voisinage que Djeka nourrit la palette, le mouvement incantatoire, la zique cosmique du cerveau ! Et il en sort alors une peinture libre, qui joue par dessus les montagnes, franchit les eaux et bouscule toutes les convenances. Une peinture sacrément contemporaine, africaine, qui ne refuse pas l’étranger, mais qui l’examine et le relit, le délie et le fluidifie. « Le brassage et le métissage sont souvent perçus (…) par les Africains comme une perte de leur identité. Je pense que ce brassage, ce métissage sont l’avenir. Les Africains sont une partie prenante de ce brassage. »

Les vendeurs de soupe Campbell, comme le suggérait Warhol, n’ont qu’à se rhabiller.

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C’est de cette rencontre prolongée, que la toile entretient ses dialogues. Ils sont nombreux à toutes les heures de l’éternité. Ici, les masques participent à une vie ordinaire. Ils remplissent leur fonction domestique, papa et maman, ils achètent le bon foufou au coin de la rue. Des fétiches viennent à leur rencontre et la lune est dans un quartier hilarant, prise de lueurs à double sens. Le message publicitaire passe alors pour une rythmique secondaire. Les dieux de l’argent, les vendeurs de soupe Campbell, comme le suggérait Warhol, n’ont qu’à se rhabiller. Regardez attentivement. Il arrive que sous le masque, un œil brille. C’est un vrai regard, dans la toile. La peur disparaît, l’homme se montre, il est l’égal des dieux, il est Dieu. Il est l’avant et l’après.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : DR et Désirée Roua
Contact : Kiunga Galerie
63, rue Raymond Poincaré 33110 Le Bouscat.
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Tél. : 06 62 90 79 71

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