Kampala n’est plus une terra incognita de l’art contemporain. Et elle le doit pour partie à Mzili Mujunga. Sa contribution dépasse de loin la seule production personnelle. Cet artiste aime d’abord imploser les volumes et perturber la géométrie.
Cette fois, c’est sûr, de regarder sa peinture ne suffit pas. Dans les toiles de ‘Mzili’ Mujunga, la représentation prend souvent l’allure d’un glissement. Le mot n’est pas très compliqué. Il évoque un dérapage entre la scène initiale et la seconde, chacune révélatrice d’une situation, d’un sentiment, d’une volonté. Par exemple, ses boxeurs amoureux, ces combattants de la forêt, qui embrassent leurs enfants, ces couples dans l’affrontement et l’amour… Ou encore, sur le thème franchement réjouissant de l’Afronaut (2019), les toiles de voyageurs spatiaux, en combinaison de vol, installés sous des sèche-cheveux ou des essoreuses à salade. Interaction.
Il y a dix ans, Mzili peignait des choses abstraites. « Mon travail était une explosion d’idées créant ces lignes et les couleurs, ce qu’on pourrait appeler l’abstraction. D’une certaine manière, mon travail est encore de l’abstraction, car abstraire c’est simplifier. Mon travail est devenu plus clair, ma représentation du sujet s’est simplifiée.» On pense avoir compris ? Et il retourne alors la crêpe en affirmant donc que son travail de ce point de vue a toujours été… figuratif. Simplement les choses ont pris leur place. Les lignes se sont ordonnées. Expressionnisme africain ou figuration galactique, même combat ! » A un moment, les gens se sont plaints qu’ils ne s’y retrouvaient plus. Pourquoi voulez-vous devenir si intelligents que les gens autour de vous ne vous comprennent pas. »
Trajectoires changeantes
Sa peinture travaille ainsi dans la forme, mais aussi dans le sens. Mzili aime à croiser les histoires. La société ougandaise, comme Kampala la dessine, est pleine de ces percussions. Par exemple, on y parle beaucoup d’homosexualité et d’affirmation transgenre. Les cloisonnements lui cassent les pieds. De la même façon que l’identification au style, les limites sont faites pour imploser, créant ainsi de grands appels d’air.



» A un moment, les gens se sont plaints qu’ils ne s’y retrouvaient plus. Pourquoi voulez-vous devenir si intelligents que les gens autour de vous ne vous comprennent pas ? «
Les raisons de parler de lui sont donc multiples. Déjà par le rôle qu’il joue à promouvoir cette création ougandaise. Il y a cinq ans, personne n’en parlait. Il est ainsi à l’origine de la Biennale de Kampala (2014), il œuvre au sein du PACA, module spatial et africain, pour le soutien à une création résolument continentale. Productif ? « J’ai un amour profond avec l’histoire africaine. J’aime la philosophie, la science et la connaissance. J’ai toujours eu cette faim d’en savoir plus… » C’est d’ailleurs ce qu’il enseigne à ses élèves. Non pas de devenir des artistes professionnels, mais de chercher, de se remettre en question. Et de produire !
‘Mzili’ Mujunga se déplace donc en permanence. Il cherche de cette façon le meilleur éclairage. A ce niveau, il a atteint une altitude optimale avec Afronaut (2019) dans laquelle il met sur orbite ses contemporains africains. Au départ, il s’agissait encore d’une illustration (amusée) sur certains aspects de son couple. Sa femme d’une autre génération et lui « sorti du poste de télévision », dans ce décor franchement cosmique du séchoir typé sixties.
Fusées spirituelles, cosmonautes hallucinogènes
Mais il ne s’est pas arrêté là. En 2007, au moment où s’ouvre l’agence spatiale africaine, il se tape sur les cuisses. « Je voulais me moquer, tout le monde pense que l’Afrique va progresser, mais malheureusement elle est toujours à la traîne car on capte des idées que d’autres ont régurgitées. Notre exploration de l’espace ? C’est celle des Américains et des Russes dans les années cinquante. » Par contre, il soulignera cette spécificité africaine spirituelle qui lui permet aussi de voyager dans l’espace. Très sérieusement, il évoque ce type d’exploration. Le rapport à la terre originelle, aux ancêtres… Dans un monde peuplé d’androïdes, l’Afrique a encore des années lumière d’avance.
Roger Calmé (ZO Mag’)
Photos © Henry Mujunga
A lire l’interview avec Matt Kayem (2019), Circle art Gallery.
https://africanah.org/in-conversation-with-henry-mzili-mujunga/
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