Jamaïque-USA / sculpture / Kim Dacres / CETTE ROUE QUI TOURNE

Une première question vient à l’esprit. Très rares sont les artistes nord-américains qui ont cette proximité plasticienne avec l’Afrique. Comment Kim Dacres, d’origine jamaïcaine, peut entretenir dans son travail cette parenté ? Quelques interviews ont abordé le sujet. Elle répond précisément en donnant le nom de deux de ses professeurs d’art, Frank Jackson ou Ed Epping. Au départ, la jeune femme pensait plutôt se diriger vers le cinéma et la photographie. La sculpture est venue par hasard et la suggestion de ses enseignants remplit un vide. Ils lui conseillent de porter son attention sur les fétiches béninois. En découvrant ces statuettes et ses masques, Kim Dacres abolit une distance, que l’enseignement de l’art entretient encore. Ce « voyage » retour vers l’Afrique commence donc ici, et la sculpture se trouve être un véhicule particulièrement adapté.

« C’est quelque chose qui était absent de mon éducation à l’université, quelque chose qui me permettait de revenir en arrière et de découvrir le langage visuel de ces gens. Et puis aussi se demander, comment cela s’inscrit-il dans le voyage de ma famille. Je ne sais toujours pas d’où viennent mes parents pour la plupart, » expliquait-elle au magazine web Juxtpoz. Quant au pneu, il est possible de dire qu’il est arrivé par hasard, sur ce chemin même de l’université. C’est-à-dire dans le déplacement physique qui la conduit à cette école. Elle récupère simplement une roue et constate ce que le métal et la gomme noire dessinent. Le déclic s’opère alors et le besoin de raconter plastiquement ce déplacement, cette culture, cette perte, commence à prendre forme.

le besoin de raconter plastiquement ce déplacement, cette culture, cette perte: « C’est comme un gros puzzle et ça semblait juste. »

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De cette façon, Kim Dacres remonte une possible mémoire. Ses gestes deviennent alors très comparables à ceux des artistes africains et de leur récupération du matériel. D’une part il y a la raison financière. « Logique parce que la tôle et le soudage sont un processus coûteux. Même dans une certaine mesure, travailler avec du bois peut coûter cher (…).  Je pense qu’à l’époque, c’était la décision la plus économique pour moi, » explique-t-elle ensuite. Mais surtout, il y a cette certitude de tenir ici un récit plus cohérent que celui proposé par son environnement pour l’essentiel d’origine blanche. Plusieurs fois, elle revient à ce constat, de la même façon qu’elle cite ses ouvrages de référence. Pour exemple la littérature de Toni Morrisson ou encore Audre Lorde, essayiste et poétesse américaine, militante féministe, engagée dans la lutte pour les droits noirs. « A qui et vers quoi dois-je retourner ? », s’interroge-t-elle à répétition.

« C’est comme un gros puzzle et ça semblait juste. » L’assemblage des matériaux en formes humaines et totémiques participe de cette recouvrance. Kim Dacres reconstruit un corps à partir d’expériences anciennes que le pneumatique porte en lui, par son usure, par ses cicatrices, et le vécu qui est le sien nourrit ce personnage. Humain et sacré, il traduit cette conception africaine du monde où chaque vie est dépositaire de l’histoire. Où chaque corps est le théâtre de ce qui a été et de ce qui vient. On pense alors aux travaux de Chakaia Booker, ou encore du Béninois Marcel Kpoho. Mêmes liens à la divinité, à la protection, à l’humain contenu et à ce déplacement perpétuel qui nous unit au monde.

Les œuvres appartiennent à une société et leurs gestes sont ceux de la communauté.

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Les installations que Kim Dacres donne à voir, traduisent bien cette volonté. La pièce n’est plus une affirmation unique. Elle se fond dans le groupe. Les œuvres appartiennent à une société et leurs gestes sont ceux de la communauté. De plus en plus précisément, la sculpteure reprend pied sur son continent d’origine. L’absence est comblée. Il arrive que ses visages le disent dans une langue commune, ancienne et contemporaine. Les mots et les gestes du quotidien africain.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : by courtesy Kim Dacres et galerie Zidoun-Bossuyt (Paris)

« C’est quelque chose qui était absent de mon éducation à l’université, quelque chose qui me permettait de revenir en arrière et de découvrir le langage visuel de ces gens. Et puis aussi se demander, comment cela s’inscrit-il dans le voyage de ma famille. Je ne sais toujours pas d’où viennent mes parents pour la plupart. » Kim Dacres


https://zidoun-bossuyt.com/artists/kim-dacres/
A lire aussi : https://www.juxtapoz.com/news/magazine/features/kim-dacres-roll-of-thunder-hear-my-cry/

Repères :
Kim Dacres est née en 1986. Elle vit à Harlem et travaille dans le Bronx, NY.
L’artiste est détentrice d’un master en science de l’éducation, de l’enseignement de l’anglais aux personnes étrangères, Lehman College, Bronx, NY. Elle a également obtenu un Bachelor of Arts, Political Science and Art Studio (Honors); minor in Africana Studies.  

Expositions individuelles :
2021 : Black Moves First, Gavlak Gallery, Palm Beach, FL.
2020 : Wisdom Emdedded in the Traeds, Gavlak Gallery, Los Angeles, CA.
2019 : Swerve Team Meeting, A.I.R Gallery, Brooklyn, NY.
2018 : Peaceful Perch, Marcus Garvey Park, NY (with Daniel A. Matthews).

Expositions de groupe :
2023 : Sounds of Blackness, curated by Larry Ossei-Mensah, 2/F South Gallery, Metropolitan Museum of Manila, Philippines.
2022 : Miami is Not the Caribbean. Yet it Feels Like it, Oolite Arts, Miami Beach, FL.
            Migrating SunPart 1, Welancora Gallery, Brooklyn, NY.
            Arrangements in Black, Phillips New York, NY.
            Collage/Assemblage, Eric Firestone Gallery, Easthampton, NY.
            Godhead, Idols in Times of Crisis, Lustwarande 12thEdition, Tilburg, Hollande.
            Kablooey: Reimagining the Self, ParallaxArt Center, Portland, OR.
            Last Call, Bradley Ertaskiran Gallery, Montréal, Québec.
            BLACK, The Know Contemporary, Los Angeles, CA.
2021 : Black American Portraits, Los Angeles County Museum of Art, Los Angeles, CA.
            From a Place, REGULARNORMAL X Artnoir, New York, NY ;
            Through the Looking Glass, UTA Artist Space Gallery, Beverly Hills, CA.
2020 : Nasty Women, Gavlak Gallery, Los Angeles, CA.
            Parallels and Peripheries: Fractals and Fragments, Galleria Anna Marra, Rome, Italie.
            Creative Climate Awards, Human Impacts Institute, Digital Curation.
            Larry Ossei-Mensah for Black Lives Matter, Showfields, Digital Curation.
            Confidence in the Future, Longwood Gallery at Hostos Community College, Bronx, NY.
2019 :  Parallels and Peripheries: Migration and Mobility, Vis Arts Center, Rockville, MD

Hills, Californie; Oolite Arts, Miami Beach, FL et Los Angeles County Museum of Art, Los Angeles, Californie. Dacres vit à Harlem et pratique son travail en studio dans le Bronx.

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