Il y a souvent de la prouesse dans la « street photography ». Entendons par là des clichés totalement miraculeux que le photographe accroche à sa ligne. Ces instants suspendus déjouent les lois de la pesanteur. Et puis il y a l’image, telle qu’El Pacha Hammo la conçoit. Ici, le photographe ne cherche pas le « scoop ». Et c’est même l’exact contraire. Son ambition serait plutôt de montrer la correspondance qui existe entre l’individu et la société qui le porte. Ce qui donne à ses travaux une forme de densité, très différente de ce que l’on voit d’habitude. Ses personnages ne sont pas des ballerines, des « danseurs de cordes », mais des hommes et des femmes qui traversent le temps et la condition. On peut dire que c’est une photographie sociale, témoin de l’époque, qui interroge sur la place qui nous est « donnée ». El Pacha Hammo ne dénonce pas ou l’inverse. C’est à nous de le faire, par notre capacité de compréhension. La photo est devenue une indication, comme le serait une position GPS. Au croisement des lignes, se trouve l’individu.
Dans cette recherche de l’humain, Pacha privilégie l’anonymat. Ce dernier est autant celui du sujet que du photographe. Dans ces rues froides, le regard croise des personnes sans nom, d’une totale humilité, telles que la réalité les force à être. Il y a entre autres cette image assez glaçante d’un homme, dans un pardessus sombre qui marche le long d’un mur de marbre, et dans lequel s’ouvre un escalier, pareil à la bouche d’un tombeau. La lumière est souvent un élément déterminant de ces clichés. Dans ce cas, elle est légèrement bleutée, comme le serait celle d’un film nordique, un Bergman, d’une profonde solitude. Le photographe l’accroche et s’en va du même pas. « Chaque fois que je veux faire des photos et surtout à Casablanca, j’essaie d’être une âme invisible (…) C’est un exercice qui me fascine. Être à la fois présent et absent, visible et invisible, » explique-t-il. Et de la même façon, mais en jouant d’une clarté totalement différente, son appareil saisit des enfants sur un terrain de foot improvisé, au milieu de cette ville immense, d’une modernité tellement lointaine du rêve.



Il traverse la vie, le regard tourné vers le sol. La rue qu’il emprunte est à cette image. Elle va entre des points que les hommes ignorent et qu’ils découvrent au dernier moment.
Plus que de la photographie de rue, on serait tenté de dire que le concept la nourrit, à chaque fois d’une possibilité d’interprétation. Il ne s’agit plus d’un exercice technique, mais d’une illustration de la modernité et des solitudes qu’elle engendre. Un homme est couché sur la pelouse d’un parc, profondément endormi, dans cette lumière pâle de l’hiver. Ou encore cet autre citoyen, vêtu d’une manière singulière et révélatrice. « A cause de son chapeau de cow-boy, et la couleur de son gilet. Je m’aperçois qu’il est peut-être SDF, vu la quantité d’affaire qu’il transporte avec lui. Et il y a le ballon qu’il tient avec fermeté. Tout ça me suggère un itinéraire aléatoire. »
C’est bien ce mot qui convient le mieux. L’aléatoire, dans une ville qui le produit et le rejette, qui répugne à le montrer mais le provoque, et l’efface ensuite. El Pacha Hammo, lui-même de cette même matière, qui se cache sous un masque, qui répugne à montrer son visage, avec cet enregistreur discret, dans une petite boîte noire, qu’il tire de la poche de son manteau. Ce Maroc n’a rien d’une fantasia colorée et bruyante. Il traverse la vie, le regard tourné vers le sol. La rue qu’il emprunte est à cette image. Elle va entre des points que les hommes ignorent et qu’ils découvrent au dernier moment. Nouvelle vague.
« « Dreamers ». Des gosses jouent au foot en plein centre de Casablanca sous la lumière doré de fin d’après-midi. Ils sont très heureux et plein d’espoir. Un jour ils pourront faire partie de l’équipe nationale et réaliser des exploits historiques. Leur ombre me donne l’impression que l’amitié se prolonge même dans leurs rêves d’enfant. » El Pacha Hammo.
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Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : © El Pacha Hammo
Contact : https://www.facebook.com/elpachahammo
Mail : elpacha.hammo@gmail.com
Repères :
El Pacha Hammo est né en 1990.
Manifestations et expositions :
2022 : Rencontres Photographiques de Marrakech, Maroc.
2020 : musée national de la photographie, Rabat, Maroc.
2018 : Nuits Photographiques de la ville d’Essaouira, Maroc.
2017 : Festival international de la photo Chefchaouen, Maroc.
Plusieurs expositions à Casablanca (2014-2015-2017-2018-2019) et Meknès (2017)
Des images ont été montrées aussi en Algérie(2016-2018), Roumanie et Albanie (2020)
💛
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