Cameroun / photographie Angèle Etoundi Essamba / ENTRE LES CANAUX D’AMSTERDAM ET LE PORT DE DOUALA

Au moment d’entrer dans cette maison d’Amsterdam, il faut penser à tout ce qu’elle a vu passer. Entre ses murs, au-dessus de ce canal, des marchands, des colporteurs d’histoire, des guerriers en quête de navires. Amsterdam est la ville du grand commerce. Comme Douala, comme Hong Kong ou New York. Les négociants sont ici des rois. Angèle Etoundi Essamba peint et photographie les visages de leurs enfants, qui sont des jeunes filles au temps du grand massacre. Explication.

Reprenons l’histoire à son commencement. C’est là, dans cette ville lacustre, mangée d’humidité, obscure et lumineuse à la fois, que le commerce décline la première idée de l’esclavage. C’est ici que les plus belles choses, le luxe le plus insensé côtoient l’idée de la mort et de l’anéantissement. D’une certaine façon, la photographe camerounaise superpose sur ses visages les deux extrémités les plus abyssales.

Dans la Hollande du 17ème siècle, Vermeer dépeint cette bourgeoisie du drap et de l’or. Il figure ces regards d’enfants, ces notables rompus à la négociation, des hommes et des femmes au quotidien du pouvoir. Et il leur donne une âme. Quand elle s’établie dans cette ville, Angèle Essamba croise ces portraits. Elle l’écrira plus tard : « J’ai toujours admiré les peintures de Vermeer. Son utilisation de la lumière, des contrastes et des couleurs. Il peint un monde contemporain, un monde d’une apparente simplicité, plein d’émotions qui invite au silence… » On l’imagine dans ces salles immenses que sont les musées. Elle est fascinée par « la place centrale qu’il accorde aux femmes dans ses tableaux. Les sujets de ses peintures sont des personnes vivantes de la vie quotidienne, tout comme les femmes et les filles que j’ai photographiées. » Parce qu’aucune jeune femme noire n’y figure, aucune mère de famille. L’histoire hollandaise les enlève du tableau. Elles n’existent pas, à cet instant crucial du scénario.

…la différence qu’il y a, à cet instant de leur vie, entre les canaux d’Amsterdam et le port de Douala.

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De la même façon que Vermeer a pu figurer ce siècle de gloire commerciale et d’une parfaite inhumanité, la photographe s’attache à redonner une place à ces femmes. Elle use de la lumière avec un soin méticuleux. Elle immobilise le geste comme la forme la plus aboutie possible. Il faut regarder avec une grande attention ces traits. Ils sont les mêmes que ceux des tableaux. Ils expriment une identique innocence, un grand ennui, une envie d’amour, une joie espiègle… Mais ils sont noirs.

Alors on pense à cette photographie qui aussi celle d’Aïda Muluneh ou de Zanele Muholi. Le procédé diffère évidemment, de même que l’emploi de la couleur et le choix plasticien. Mais ne s’agit-il pas d’une chose identique ? Muluneh dit souvent ne pas comprendre pourquoi l’Occident oblitère l’énergie africaine. Il l’ignore, dans une réduction permanente à la sauvagerie et à la misère. Muholi combat pour la reconnaissance du droit et de la différence. Et le silence continue de recouvrir sa communauté. Le même silence, une chape identique d’indifférence et de mensonge. Les photographies d’Angèle Etoudi Essamba sont pleines de gravité. Mais aussi de beauté et d’énergie. Vermeer l’a croisée dans une allée du Rijksmuseum. C’est ici qu’est exposée la « Jeune fille à la perle ». Une petite jeunette sous une coiffe de paysanne, avec ce bijou à son oreille. Regardez ces yeux, d’un bleu liquide et cette faculté de l’innocence. Vermeer se penche vers Angèle et lui demande la différence qu’il y a, à cet instant de leur vie, entre les canaux d’Amsterdam et le port de Douala.

« Je mets en lumière ces figures noires oubliées et énigmatiques reléguées au second plan pendant des siècles dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle et romps avec la vision souvent unilatérale de l’héritage du Siècle d’Or. (…) »Noire Vermeer » Fille à la Boucle d’Ambre, invite le spectateur à porter un regard critique sur le passé et à déconstruire les perceptions dépassées, pour repenser la place de cette fille dans notre monde contemporain. » Angèle Etoundi Essamba

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Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : © Angèle Etoundi Essamba
https://www.essamba-art.com/album/noire-vermeer-a-girl-with-an-amber-earring/

A lire aussi : https://zoes.fr/2021/06/18/cameroun-pays-bas-photographie-angele-etoundi-essamba-cette-femme-qui-porte-le-monde/

Repères :
Angèle Etoundi Essamba, née à Douala en 1962. Elle quitte le Cameroun en 1972 pour la France. Après le baccalauréat, elle s’installe à Amsterdam. Elle suit alors les cours de photographie de la Nederlandse Fotovakschool (École professionnelle néerlandaise de la photographie) à La Haye.
En France et en Afrique elle est représentée par la galerie CK
https://www.galeriecarolekvasnevski.com/ang%C3%A8le-etoundi-essamba

Dernières expositions:
2022 : National Fotomuseum, Rotterdam, Hollande.
            Galerie Les Arts du Soleil, Genève, Suisse.  
2020: Galerie 23 Amsterdam (NL) .
2018: MB Hotel Ganvié (Bénin).
           Fondation Claudine TALON Cotonou (Bénin).
           Museum Fünf Kontinente Munich (Allemagne).
          Fondation Claudine Talon Cotonou (Bénin) .
2017: Musée de l’Eau Pont en Royans (France).
          ACP Culture Bruxelles, Belgique.
          Galerie Didier CLAES Bruxelles.
2016: Musée Théodore Monod, Dakar (Sénégal).
2015: AUC-ECA – Conference Center Addis-Ababa (Ethiopie).
           Pavillon de l’Eau Paris (France).
           African Union Addis-Ababa (Ethiopie).
2014: Agence Française de Développement (AFD) Paris (France).
           Orangerie du Sénat Paris (France).
           Institut Français Cotonou (Bénin)…

Le travail d’A. Etoundi Essamba a été montré dans nombre d’institutions, de biennales (Venise, La Havane, Dakar, Johannesburg et Bamako), en Afrique, en Europe, aux États-Unis, à Cuba, au Mexique ou encore en Chine.

Dernières acquisitions publiques (Musées et fondations)
2022 : Museum of Modern Art – MOMA New York, USA.
            Boca Raton Museum of Art, USA.              
           Memphis Brooks Museum of Art, Memphis Tennessee, USA.
           Fitchburg Art Museum, Fitchburg, MA,
           National Museum of Women in the Arts, DC, USA.
2022 : Pan African Heritage Digital Museum, Accra, Ghana.
            World Bank Art Program Washington DC , USA.
2019 : Museo National de la Fotografia de Colombia, Bogota, Colombie.
2018 : Museum Fünf Kontinente Munich, Allemagne.
2017 : Musée des Civilisations Noires (MCN) Dakar (Sénégal)       
2010 : Ministery of Culture, Bogota, (Colombia)

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