Afrique du sud / Performances et installations / Senzeni Marasela /LE TISSU DE LA RESISTANCE

A quoi ressemble une femme africaine, de milieu rural, qui se trouve dans une ville blanche ou noire, qui travaille, qui est mariée, qui cherche une place et de la nourriture pour sa famille ?  Comment la reconnaître, l’identifier ? comment ne pas la voir ? Sa façon de marcher, de se taire, sa manière d’être et de ne pas être, ses vêtements… Quand elle commence en 2004 son travail intitulé  « Theodorah Comes to Johannesburg », l’artiste sud-africaine Senzeni Marasela pose cette question très simple et tellement complexe de savoir ce qui distingue, ce qui met l’ombre et la lumière sur cette femme ordinaire. Elle est de la même génération que Berni Searle, Mary Sibande ou Zanele Muholi. Et sur cette société rescapée de l’apartheid, leur regard se dirige à répétition.

Tout comme Mary Sibande, Senzeni Marasela a développé jusqu’en 2019 ce personnage ancré dans la ville, dans sa violence et son rejet de la femme. Senzeni Marasela n’a cessé de le dire toutes ces années. Il n’y a pas que la couleur à envisager, mais le statut de la femme, ou plutôt son absence totale de reconnaissance. Le personnage qu’elle jouait, invisible à force d’être niée, silencieuse et recluse, c’est à la fois celui de sa mère, de ses voisines, de ses amies, confrontées aux mêmes exclusions. Ses performances rétablissent donc la visibilité. Ce personnage, même silencieux, même effacé, aussi anonyme soit-il, trouve enfin une inscription. Femme noire, rurale, femme sans autre adjectif.

« Nous marchons encore sur un terrain très nouveau en tant que femmes noires dans ce pays, et j’espère que la prochaine génération poursuivra cette tradition … » Senzeni Marasela

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Dans certains lieux, les gens lui demandaient pour quelle raison, elle portait encore de tels vêtements, et s’il n’était pas possible qu’elle s’arrange un peu. Comme de mettre du vernis ou de nouer un foulard. Elle engageait alors la conversation et répondait que c’était de cette façon qu’elle s’habillait depuis qu’elle avait quitté le village. Les gens haussaient les épaules. Certains s’éloignaient et refusaient d’échanger. Cette discussion et cette femme, sans doute une femme de ménage, ne présentaient aucun intérêt.

Les robes rouges portées dans de nombreux lieux (comme la Biennale de Venise, 2015), sont aujourd’hui exposées au Zeitz MOCAA (Le Cap). Le tissu utilisé pour leur confection, isishweshwe, date de l’époque coloniale. Selon les mythes Xhosa, c’est aussi un « tissu de résistance » qui réchauffe et réconforte. Avec un fil rouge, elle a également brodé des personnages et écrit des messages. « Les femmes plus âgées que nous n’ont pas eu l’occasion de parler et de réfléchir à la manière de revendiquer les subjectivités et les identités féminines noires, explique-t-elle. Nous marchons encore sur un terrain très nouveau en tant que femmes noires dans ce pays, et j’espère que la prochaine génération poursuivra cette tradition, » disait-elle dans une interview avec Jareh Das (magazine Ocula, 2021).

« Chaque jour, en tant que femme noire, vous devez vous demander si les espaces dans lesquels vous entrez sont sûrs et déterminer quelle identité vous allez remplir afin de contrôler cette sécurité dans les rues. » Senzeni Marasela (à propos de Johannesburg).

A lire l’interview : https://ocula.com/magazine/conversations/senzeni-marasela-my-work-is-rooted-in-johannesburg/

RC (ZO mag’)
photo : © Senzeni Marasela

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Repères
Senzeni Marasela est née en 1977 à Thokoza (Afrique du sud).  
Elle a obtenu un BA en beaux-arts à la Wits School of Arts, Université du Witwatersrand, Johannesburg (1998). Son travail fait notamment partie des collections du Museum of Modern Art, du Newark Museum et du Zeitz MoOCAA de Capetown.

Expositions personnelles (sélection)
2018 : Senzeni Marasela, en attente de Gebane. Dolly Parton, Toffee Gallery, Darling, Afrique du Sud.
2011 : Sarah, Theodora et Senzeni à Johannesburg. Art On Paper, Johannesburg, Afrique du Sud.
2010 : Senzeni Marasela. Beyond Booty: Couverture de Sarah Baartman et d’autres contes. Axis Gallery, New York et New Jersey, États-Unis.
2009 : Témoin. Art on Paper, Johannesburg, Afrique du Sud.
            « Oh mon Dieu, tu ressembles à de la merde ». Performance solo, Musée Sternersen, Oslo, Norvège.
             JONGA – Regardez-moi ! Un musée des femmes, des poupées et des souvenirs. Devon Arts residency, Devon, Écosse.
2005 : Théodora et les autres femmes. Art on Paper, Johannesburg.
2004 : Trois femmes, trois voix. Johannesburg Art Gallery, Johannesburg.
2002 : Projet d’art public en amont. Amsterdam, Pays-Bas.
2000 : Frais. South African National Gallery, Le Cap.

Expositions collectives (sélection depuis 2011) 
2019 : Je suis… Femmes artistes contemporaines d’Afrique. Smithsonian National African Museum, Washington, États-Unis.
2018 – 2019 : Soft Power. Transpalette, Bourges, France.
           1:54 Foire d’art contemporain africain. AFRONOVA, Somerset House, Londres, Royaume-Uni.
            Fils… Sean Kelly Gallery, New York, États-Unis.
            1:54 Foire d’art contemporain africain. AFRONOVA, Pioneer Works, New York.
            Investec Cape Town Art Fair. Cape Town International Convention Centre, Le Cap, Afrique du Sud.
2017 : Afrique. Raccontare un Mondo. PAC, Milan, Italie.
            1:54 Foire d’art contemporain africain. AFRONOVA, Pioneer Works, New York.
2016 : 54 Foire d’art contemporain africain. AFRONOVA, Somerset House, Londres.
            KIN, HANGAR. Centro de Investigação Artística, Lisbonne, Portugal.
2014 : Ik beem afrikander. Johannesburg.
            Exposition d’art contemporain sud-africain. Université de Yale, New Haven, États-Unis.
            Corps nomades. Royal Academy of Fine Art, Anvers, Belgique – Fried Contemporary, Pretoria, Afrique du Sud.
2013 : Bulletin météo. Université de Potchefstroom, Province du Nord-Ouest, Afrique du Sud.
            L’Afrique organise l’Afrique. ABSA Contemporary, Johannesburg (exposition itinérante).
2012 : Actuel. Présent : Arts de l’Afrique contemporaine. Newark Museum, New Jersey, États-Unis.
            Rouge. Galerie 5 Pièces, Berne, Suisse.
            ME1. Fried Contemporary, Pretoria, Afrique du Sud.
2011 : Nouvelles traditions : Louise McCagg & Senzeni Marasela. Collaboration à A.I.R. Gallery, en association avec Axis Gallery et Alma-on-Dobbin, New York.

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