« Je suis persuadée qu’il n’existe pas de différence, je veux dire au plus profond, entre la matière et l’organique. Le corps, dans l’infiniment petit ou à notre échelle, passe par des états tellement différents. A un moment, il revêt une certaine apparence. Ensuite, ce n’est plus la même chose. Une tôle réagit de façon comparable. La chaleur la déforme, l’humidité l’oxyde… C’est pour ça que je m’intéresse à cette idée d’évolution et de métamorphose. » Isabelle Bulczynski Dossa a beaucoup réfléchi sur ce concept qui revêt en Afrique une visibilité accrue, tout simplement parce qu’elle prend différentes dimensions. Dans son travail du thérapeute, la plasticienne parle de l’existentiel, mais elle envisage d’autres pistes aussi qui sont aux limites de l’obscurité et de la clarté, dans des endroits difficiles à atteindre et concevoir. L’art en fait partie, la spiritualité aussi. L’un et l’autre croisent des visages, creusent des métamorphoses. Isabelle Bulczynski Dossa leur donne corps, au sens physique du terme ; elle les incarne.
« Ubuntu » appartient à ses derniers travaux. Le mot « derniers » à un sens. Elle le compose à son habitude, d’une manière assez classique, qui emprunte à des lieux différents et des époques aussi. « Classique », parce qu’elle travaille ce portrait de femme d’une façon assez comparable à celui d’une vierge de la Renaissance, dans un instant de questionnement, qui reçoit une visite et écoute les paroles. Plusieurs fois, la peintre a figuré la rencontre de cette manière. Les visages se penchent les uns vers les autres. A l’arrière-plan, une autre personne se tient. Peut-être cherche-t-elle à entendre. C’est un dialogue important qui refuse l’artificiel. Isabelle use de couleurs essentielles. Aucun excès, aucune volonté d’accrocher le regard. La tonalité est celle de la terre, qui est au commencement, dans ce substrat originel. Les yeux sont grands ouverts, la langue annonce ce qui va venir.
« Ubuntu » est une situation commune à nous tous. Au terme de ce travail, d’autres vont suivre qui empruntent des chemins différents. Mais il faut se souvenir que cette possibilité n’existe que dans la complicité de l’autre et le message qu’il vous livre. Cette femme qui s’apprête à vivre autre chose est à l’image de la peintre qui cherche le chemin. Dans quelques mois, il se peut que la peintre béninoise tente une autre expérience. Elle en parle. De transposer ailleurs que sur la tôle, cette mutation des matières. C’est un grand voyage, qui n’est pas seulement technique. « Ubuntu » lui parle dans l’oreille des choses qu’elle verra et que les hommes croisent à un moment ou un autre. Le doute peut venir, et il est comme l’eau entre les branches. Les mêmes sentiments l’animent. Qu’il s’agisse de la pierre, du métal, du papier, que ce soit le sentiment de la perte ou des retrouvailles, le fleuve est identique, qui va dans les branches de l’arbre comme le vent.
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« Ubuntu, je suis car tu es… ». Tôle oxydée, acrylique, vernis antirouille, tissus de récupération, 1, 00 x 0, 80 m (2023).
RC (ZO mag’)
Photo : by courtesy © Isabelle Bulczynski
Repères :
Isabelle Bulczynski Dossa est Franco-béninoise. Elle a fait ses études d’arts appliqués à Lyon (France) et à l’École des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand, en parallèle à une formation aux métiers d’Art et de la communication (Volvic). Elle a également suivi une formation en art-thérapie, puis de médiateur artistique) à l’I.N.E.C.A.T (Institut National d’ Expression, de Création d’Art et Transformation, Paris).
Fondatrice et Présidente de l’Association GAIA FASO (Groupement Alternatif d’Initiatives Artistiques), elle vit, enseigne et travaille au Burkina-Faso depuis 2012. Contact : Contact: https://www.facebook.com/isabelle.bulczynski1
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