Egypte / photographie / Rehab Eldalil / JE SUIS DE CET AMAS DE PIERRES

C’est une question très simple. Et qui contient en substance nombre de réponses. L’identité ? Il faut encore savoir de laquelle nous parlons. Rehald Eldalil n’entend pas éluder l’une ou l’autre des réponses possibles. La réponse plasticienne par exemple. De quelle identité plasticienne, une jeune femme bédouine, dans une Egypte contemporaine, peut encore se revendiquer ? Le « encore » a un sens. Que reste-t-il à la photographe, de traces réelles, de souvenirs inscrits dans un album, de lieux enregistrés ? S’agit-il de son identité, telle que son passeport l’affirme ? Ou plutôt de la nostalgie, dont parfois les parents plus âgés lui parlent ? Ou commence la terre de l’identité ?

Le travail de Rehald Eldalil n’échappe jamais à la question. Il faut se méfier des réponses uniques et définitives. Elles cachent toujours un gros mensonge. Et c’est justement cela que la plasticienne égyptienne cherche à éviter. Le livre qu’elle publie aujourd’hui est dans cette façon d’aborder et de fonctionner. Il prend le temps nécessaire : «Ce livre a mis près de dix ans à se préparer. Le projet a commencé comme mon processus de reconnexion à mon ascendance bédouine, puis s’est transformé en une opportunité de me connecter, d’apprendre et de travailler avec la communauté. En cours de route, ma voix visuelle s’est développée, » dit-elle. « The Longing Of The Stranger Whose Path Has Been Broken » fonctionne donc comme une rencontre vivante avec la communauté bédouine. Parce que ce sont ces voix qu’il faut entendre et le lien avec la terre qu’elles entendent, cette attache « indescriptible » que la société moderne lentement érode. Rehab Eldalil est donc revenue dans cette partie du Sinaï, d’avant et d’après la guerre, d’avant la politique et le chaos, dans ce lieu fondateur qu’est le désert, le troupeau et la famille.

Les personnes qui sont dans le cadre ne sortent pas d’une fiction, mais de leur propre vie, de leurs propres mots.

Dans l’introduction de son livre, la plasticienne avertit qu’elle privilégie « les sujets qui remettent en question les récits linéaires et les idéologies orientales. » D’avoir longtemps vécu aux USA n’y est pas étranger. Et là encore, l’époque n’était pas anodine, au moment du 11 septembre et de la crise qui suivait. Des années plus tard, elle a participé à la révolution égyptienne de janvier 2011. Toutes ces expériences personnelles ont influé sur le récit visuel, mais en conservant au cœur de cette narration la voix communautaire. C’est un mot central dans la construction de l’ouvrage.

« Dans ma pratique, j’explore comment remettre en question les cadres documentaires traditionnels en développant des méthodes pour impliquer les sujets à faire partie du processus créatif », explique-t-elle encore. «Je crois que la photographie et la narration visuelle ont le pouvoir de connecter autant que de diviser les communautés. » Cette fois, ce ne sont plus des étiquettes, forcément restrictives, que l’on pose sur les visages et les lieux. Les personnes qui sont dans le cadre ne sortent pas d’une fiction, mais de leur propre vie, de leurs propres mots. Il n’y aucune mélancolie factice, mais plutôt la question de l’appartenance. Ce n’est pas anecdotique, c’est un droit de recouvrance, face à un déni. Des hommes se tiennent devant des champs de fleurs. Dans des lieux de pierre, des enfants apparaissent entre le tissage et l’image, comme des broderies. Un homme et un enfant escaladent une dune tissée. Au pied de l’effondrement, dans la lumière rouge du crépuscule, une barre de logements vides pour un peuple de nomades. De quelle identité est-il question ?

Nomades ou sédentaire? réponses immobiles et immobilières.

Avec les problèmes croissants sur les frontières, la stigmatisation et la perte générale d’identité dans le monde, je vise à utiliser mon travail pour plaider en faveur de la justice sociale et de la compréhension. Rehab Eldalil

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Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : © Rehab Eldalil
https://www.rehabeldalil.com/about

Repères :
Rehab Eldalil est née en 1989, et vit actuellement au Caire (Egypte). Elle est détentrice d’un BA en photographie de l’Université Helwan du Caire (2011). Maîtrise en photographie, Université de Falmouth (Royaume-Uni, 2020).
En plus de ses projets personnels, Eldalil collabore avec des ONG et des publications sur les thèmes liés aux droits de l’homme en Égypte.

Gagnante du concours World Press Photo 2022.
Eldalil est membre de la Base de données du photojournalisme africain, un répertoire établi par la World Press Photo Foundation et Everyday Africa.

Ouvrage publié : The Longing Of The Stranger Whose Path Has Been Broken (2022), co-publié par Foto Evidence et Trobades & Premis Mediterranis Albert Camus.

Expositions (sélection):
2022 : Théâtre des rêves, Breda Photo Festival, Breda
            Art et broderie, Caire.
            World Press Photo winners world tour exhibition.
            Foto Wien, Vienne (Autriche).
2021 : Photo Vogue Festival, Milan (Italie).
            Hamburg Portfolio Reviews exhibition, Hambourg (Allemagne).
            Oceano Alterado, exposition collective, The Journal, Sao Paulo (Brésil).
            Looks Like Us, exposition collective The Journal, Toronto (Canada).
            New Stories New Horizons, The Everyday Projects exposition collective, Caire (Egypte).
2020 : Photo Festival, Athènes (Grèce).
            Landings, Falmouth University graduates exhibition, en ligne.
2019 : Youth of Egypt, Carte Blanche, Egypte, 2019.
            Territoire, par Native, Kunsthaus Flora, Berlin (Allemagne).

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