« Quel rôle joue réellement l’enfance dans la vie d’un individu ? La mienne a été gravement bouleversée. Un grand nombre d’événements et d’interactions néfastes (…) me sont arrivés dans le passé. » La peinture de Mirza Cizmic est née dans cette explosion. Il avait sept ans au moment du siège de Sarajevo. La faim, la mort, les disparitions, le désespoir de sa mère, la solitude infinie de l’appartement, l’incertitude permanente du lendemain, et tout ce qui manque, pour que le tableau soit celui de l’enfance. Il faut du temps et beaucoup de peinture pour se réveiller de ce sale rêve. Mirza Cizmic peint cet état, au travers des faits quotidiens, tordus, déformés, par ce chaos ambiant.
La série s’intitule « Stolen memories » (Souvenirs volés, 2021-2022). Elle montre sous la lumière crue du néon à quoi peut ressembler le cauchemar, dans la nudité de l’appartement. Il serait bien idiot d’y voir une satire. Sans doute, on y croise des masques, des gens qui rient comme des mannequins de cire, des hommes nus qui s’exhibent devant des femmes, et puis des enfants, dans les bras de ce désespoir, des hommes abrutis de sommeil, endormis sur la cuvette des chiottes. Ce sont de vraies images, surgies de toute cette « confusion » que le peintre évoque et dont il cherche à se débarrasser. Sa peinture est une masse de bruit, ou de silence, une masse lourde qui empêche de dormir celui qui l’a produite et celui qui regarde au-delà du ricanement.

« Je ne peux pas les fuir. Je suis constamment aux prises avec mon passé; C’est une bataille sans fin, sans gagnant… » Mirza Cizmic
Entre 1992 et 1996, la Bosnie-Herzégovine a vécu cet enfer, qui est aussi un génocide, qui est aussi le pire charnier que l’Europe ait connu après la guerre de 39-45. Puis la paix et la reconstruction ont commencé. Mirza Cizmic a suivi des études d’art à Sarajevo, avant de partir pour la Finlande où il a achevé sa formation. La peinture ne parle que de ça : « Bon nombre des événements et des interactions dévastateurs qui me sont arrivés dans le passé (…) sont invisibles. Pourtant, je les sens. Ils sont très minces. Je ne peux pas les fuir. Je suis constamment aux prises avec mon passé; C’est une bataille sans fin, sans gagnant, » écrit-il sur le site d’ArtHall-online. Une autre de ses séries s’appelle « Exode ». Elle montre des masses de gens qui marchent sur les autoroutes de l’Europe. Des foules qui traversent les voies et remontent le bitume. C’est un jour sans lumière particulière, grise, uniforme. Des milliers de gens tentent de franchir le mur. Exode.
« Il y a 25 ans, j’y étais. Je me souviens de ma mère, elle pleurait. En me tenant la main, elle me disait « tout va bien se passer ». Aujourd’hui, je comprends pourquoi elle a pleuré… Comme dans la vie, mais dans le contexte de la peinture, je dirais que pour moi, la peinture est le processus qui me fait passer de la confusion à la compréhension… » Mirza Cizmic

RC (ZO mag’)
Photos by courtesy the artist.
A voir : https://arthall.online/artists/mirza-cizmic
Repères :
Mirza Cizmic est né en 1985 , à Sarajevo (Bosnie).
Il est diplômé de l’École supérieure des arts appliqués de Sarajevo. Il est titulaire d’une maîtrise de l’Académie des beaux-arts d’Helsinki, département de peinture (2012-2019).
Son travail se trouve dans de nombreuses collections privées, de même que les collections du Musée d’art contemporain Kiasma, la Galerie nationale de Finlande et Hanaholmen, centre culturel suédois (Finlande).
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