Des cendres. Il restera de tout ce jeu, de notre façon d’être et de voir, juste des cendres. Nous n’avons aucune illusion à nous faire, semble dire Tsuki Garbian, au moment d’aboutir sa dernière série de dessins, liés à cette histoire prodigieuse autant qu’illusoire, de l’art. Il revient alors en mémoire deux œuvres (contradictoires) du peintre israélien. L’une et l’autre, par des chemins différents, annoncent le travail à venir. La première figure un jeune homme à la terrasse d’un café nocturne. Il est assis, dans le tourbillonnement des lumières. Les couleurs sont les mêmes que celles du café parisien de Van Gogh. Cet orangé et ces lueurs, ce désir halluciné que le bonheur puisse durer quelques instants encore. La seconde date de 2017, et l’on voit un homme chevaucher une autruche. C’est inhabituel, cela pourrait avoir lieu, dans un jardin psychiatrique. Illusions, dérangements multiples… Et au final, il n’en restera que des cendres. Ne vous faites aucune illusion.
Le travail de Tsuki Garbian, réalisé sur des grands formats, n’est pas seulement virtuose. Ses dessins au charbon de bois ont une raison bien plus profonde. Il dit : « le charbon de bois est une matière qui contient la mort, les bâtons de charbon de bois de saule que j’utilise sont lavés sur le papier de coton blanc et transformés en une minuscule poudre noire qui pourrait être effacée et disparaître d’un coup. » L’extrême fragilité de la matière, comme de l’instant, cette incapacité à marquer durablement. Il est temps de se débarrasser de cet égo qui colle aux doigts. Il évoque alors, de la même façon qu’Ernest Breleur et ses radiographies, la profondeur qu’il y a dans ces visions intérieures, d’un corps, d’une volonté, de cet esprit qui croit. Tous les grands maîtres de la Renaissance ont disparu. Ils sont couchés dans la poussière des tombeaux, et Tsuki peint leurs dernières rondes. Une femme saisit une grappe de raisin. Un enfant joue avec la tête d’un chien. Déjà le tableau s’efface.


« …en une minuscule poudre noire qui pourrait être effacée et disparaître d’un coup. » Tsuki Garbian
« J’observe des images radiographiques pour entrer dans le prétendu inconscient des œuvres : toutes les erreurs et tous les regrets du processus de peinture que cache le « moi » fini des peintures. », poursuit-il. Il faut donc regarder avec une grande attention ces dessins. Ils nous renvoient une image qui n’est pas seulement celle du temps ancien, mais de la pensée qui nourrit le tableau. Être suffisamment lucide pour en comprendre les satisfactions vaines qu’elle va produire, et qui n’ont déjà plus rien à voir avec la peinture. Etrange travail, à la fois humble et virtuose, qui contient d’un même temps le mal et le remède. Peu importe le moment où ils sont proposés. D’autres toiles vont suivre. Sans doute la couleur reviendra, comme un oiseau sur le chapeau, ou une plume. L’oiseau tout entier apparaît à la radiographie.
« J’observe des images radiographiques pour entrer dans le prétendu inconscient des œuvres : toutes les erreurs et tous les regrets du processus de peinture que cache le « moi » fini des peintures. » Tsuki Garbian
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : © Tsuki Garbian
Contact : https://www.facebook.com/tsuki.garbian
Repères
Tsuki Garbian est né en 1976, en Israël.
De 2002 à 2007, il est inscrit au Beit Berl College et obtient un certificat d’enseignant. Puis, de 2009 à 2011, il suit des études d’art axées sur le croquis et le dessin figuratif.
Expositions (sélection) :
2022 : Had Gadya: The Horror Cycle. La Maison des artistes de Jérusalem, Jérusalem, Israël.
2018 : Désordre , Pavillon d’art contemporain Helena Rubinstein, Tel Aviv, Israël.
2016 : Œuvres sur papier, Galerie Liza Gershuni ,Tel Aviv.
2012 : « Quarante nuits » – Maison d’artiste, Jérusalem.
« Double Mars » – ST Art Gallery, Jaffa, Israël.
2011 : « Le Dernier César », – Galerie Hezi Cohen (collective).
« Crescendo » – Yigal Tomerkin, Jonathan Hirschfield et Tsuki Garbian. Galerie Sommer (collective).
2010 : « Home Work »- Galerie Ha Agaf, Haïfa, Israël.
2009 « Infection »-Exposition collective à la Hanina Gallery, Tel-Aviv..
« Cranes »-Hanina Group, Exposition Ouverture de la saison, Jérusalem.
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