A quoi ressemble l’Amérique des années 70 ? Comment bouge-t-elle, et quel son fait sa voix ? On pourrait dire qu’elle ressemble à une image de Ming Smith. Un mélange absolu d’énergie et de constat, une conviction de l’image qui correspond pleinement au titre de l’expo au Brooklyn museum (2017) : « We Wanted a Revolution: Black Radical Women. » C’est exactement dans ce titre que le travail de la photographe va s’inscrire pendant 50 ans de création. Une révolution que rien ne dément, qu’aucune critique ne peut contredire, et qui fixe de manière remarquable le mouvement noir au quotidien. Artistes, leaders de la pensée, travailleurs anonymes, gamines assises dans les escaliers, sur tous les formats, « elle est un symbole, un symbole de tout ce qui a été enveloppé au fil des ans et qui doit être révélé. D’une certaine manière, c’est une sage, et toutes ses perspectives sont importantes pour ce moment. » (Nicola Vassell). L’histoire commence ici, à Greenwich et Harlem. Et elle continue de la même façon.
Il faut imaginer déjà, une gamine de 20 ans, qui arrive à New York et qui deux ans plus tard se voit proposer par Louis Draper d’intégrer le premier collectif de photographes noirs, fondé à Harlem, le Kamoinge Workshop. « Je prenais mon appareil photo et j’allais photographier, et je voyais ce que je pouvais découvrir ce jour-là. J’ai regardé tout ce qu’il y avait autour de moi, et parce que la lumière est partout, il y a toujours quelque chose qui peut être créé. », disait-elle dans une interview à Zoe Withney (The White erview, 2021). Ses images sont déjà reprises dans cet ouvrage de référence « The Black Photographers Annual », édité par le collectif et préfacé par Toni Morrison. L’écrivaine, Nobel de littérature écrivait à ce sujet : « Il plane au-dessus de la matrice de la vie noire, vise avec précision et fait exploser nos sensibilités. ». Ming Smith fait de la photo depuis un an à peine.

En 1978, la photographe est la première Noire américaine intégrée aux collections du MoMA. « David Murray in the Wings » (1978) et « Christmas Constellation » (1978). Cette période est celle de plusieurs images « évidentes », incontournables, carrément mythiques. Le portrait de Sun ra, le musicien dans un flux de lumières, d’électrons vibratoires et puis ce portrait d’homme noir qui s’intitule, « L’Amérique vue à travers les étoiles et les rayures » (1976). L’homme noir est debout contre une vitrine qui reflète la rue américaine. Le drapeau US et ses bandes blanches fait immanquablement songer à une barrière. Blanche.
Il y a deux ans, Apertur a consacré une première monographie à Ming Smith, au moment où la photographe rejoignait la galerie de Nicola Vassell. Quarante ans d’images y étaient rassemblés. L’un des contributeurs, Arthur Jafa a écrit à ce sujet : « Je suis persuadé que Ming Smith est le plus grand photographe afro-américain de tous les temps. Ce qu’elle est capable de faire dans sa capacité à créer à la fois du flou et de la précision, et de la définition, reste inégalé. » Pour cette exposition qui inaugurait l’ouverture de sa galerie, Vassell avait titré : Ming Smith : Evidence.

« La photographie de rue, c’est se promener et faire quelque chose à partir de rien, faire de l’art à partir de quelque chose que vous voyez tous les jours. Ce sentiment de découverte – tirer et marcher – c’est presque une forme de méditation, parce que la plupart du temps, vous n’interagissez avec personne d’autre. C’est juste vous et le monde. » Ming Smith (The White review)
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : by courtesy Ming Smith et Aperture
A lire : https://www.thewhitereview.org/feature/interview-with-ming-smith/
Repères :
Ming Smith est née en 1950 à Détroit. Diplômée d’un bachelor de microbiologie (Howard University, 1973), elle part alors à New York et s’installe à Greenwich Village. En parallèle à son travail de mannequin, elle commence à prendre des photos et intègre le Kamoinge Workshop, un collectif de photographes noirs fondé à Harlem.
En 1973 qu’elle publie ses premières œuvres : quatre de ses photographies sont incluses dans le premier volume de The Black Photographers Annual, autoédité par le collectif et préfacé par Toni Morrison.
Elle sera la première femme afro-américaine à voir son travail inclus dans la collection permanente du MoMA (1975).
The New York International Center of Photography’s Infinity Awards lui décerne son prix 2023 « Lifetime Achievement ».
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