Le pourquoi d’une couleur. La décision d’y recourir pour une raison qui est historique, qui relève de l’affirmation identitaire, du droit et du refus de la dissimulation. Ce fichu mensonge qui traverse toute l’histoire. Ruth Ige est Yoruba d’origine (Nigéria) et elle peint en Nouvelle Zélande, des tableaux bleus. Le pourquoi de la couleur ?
En 2021, elle accroche ses portraits sur les murs de Cape Town, galerie Stevenson. Des visages illisibles, dans ce bleu de la survivance, dans ce mouvement perpétuel du pinceau qui est son affirmation. Des visages sans traits, des gestes ordinaires que dessinent des bras noirs, une tête aussi, de cette même couleur qui est un enfermement. Elle disait à ce moment : « Le bleu se démarque pour moi des autres car il y a une multiplicité. La couleur a une profondeur presque spirituelle. C’est d’un autre monde, mais aussi ordinaire. (…) Il a de multiples dualités que je trouve assez intrigantes. » Ruth Ige construit ainsi son travail. Elle recherche « le sentiment d’être en dehors d’un lieu ou d’un moment spécifique. Où le passé, le présent et le futur entrent en collision et coexistent dans le même espace. ». Le bleu lui permet de créer « un ralentissement et une aspiration. » C’est un temps nécessaire, un temps de paix. Et de rappeler aussi que le bleu est celui de l’indigo, que l’on appelle adire. Le bleu est une couleur d’affirmation et de paix, dont elle perçoit la portée cicatrisante.


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L’abstraction ne fonctionne-t-elle pas de cette façon, dans ce plasma bleu, des battements, des pulsations qui viennent du cœur, de l’ancien, de la partie éteinte et rallumée de soi, et qui traverse le temps, d’un corps à l’autre. Abstraite et en mouvement. La peinture de Ruth Ige fonctionne dans ces choses qui ne sont pas faciles à dire, et qu’elle aide à toucher du doigt et du regard. Être sans appartenir, être dans l’anonymat, de cette immensité qui nous touche tous, dans un moment qui est le nôtre, comme il était celui de sa mère, et de la mère de celle-ci.
« Dans un endroit entre deux dimensions (…) Elle pleurait et pleurait comme une mère qui perdait son enfant chaque fois qu’une vie noire était perdue ou mal prise. Elle visitait les gens la nuit à travers leurs rêves, donnant des mots d’encouragement, mais aussi des idées et des outils pour lutter contre les systèmes d’oppression. Parfois, elle apparaissait comme une apparition de lumière et enroulait ses bras autour de ceux qui étaient découragés. » De cette façon, le bleu vient et apaise. De cette manière, l’abstraction donne à chacun(e) la possibilité de s’y refléter, et d’inscrire son nom, et de voir les traits de son propre enfant;
« J’ai vu la liberté personnifiée. J’ai vu que, dans son éveil et son sommeil, elle aurait des rêves et des visions récurrents – des rêves de libération, d’espoir, d’émerveillement, de tristesse, de joie et de justice. En tant qu’entité maternelle, je pouvais la voir regarder, espérer et aspirer au meilleur pour la diaspora noire (…) » Ruth Ige.

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A lire (en anglais) : https://contemporaryand.com/fr/magazines/ruth-ige-on-blackness-abstraction-and-the-color-blue/
Roger Calmé (ZOmag’)
Photos : By courtesy Ruth Igé.
Repères :
Ruth Ige est née en 1992 au Nigeria). Elle est titulaire d’un baccalauréat en arts visuels de l’Université de technologie d’Auckland (Nouvelle Zélande).
Expositions récentes:
2022 : Freedom’s recurring dream, Stevenson, Cape Town, Afrique du sud.
Between Two Dimensions, Roberts Projects, Los Angeles, USA.
2021 : Les notions poétiques du bleu, McLeavey Gallery, Wellington, NZ.
Exposition collective, Stevenson, Cape Town, Afrique du sud).
2020 : A Place Apart, City Gallery, Wellington.
2019 : Group Show, Karma, New York, USA.
Pléiades: Sept sœurs de Nouvelle-Zélande, exposition de groupe, Gow Langsford, Auckland, NZ.
Two Oceans at Once, ST PAUL St Gallery, Auckland.
2018 : Never an Answer: 12 Abstract Painters, The Vivian, Matakana.
LISTE—Art Fair Basel, Suisse.
2017 : Dirt Future, Artspace, Auckland.
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