L’histoire ne remonta pas à hier. Sur les images qui le représentent, George Senga offre un visage grave. Aucune fantaisie ne le déforme. C’est un portrait à la mesure du sujet. Dans cette ville de Lubumbashi, l’histoire est permanente, avec ou sans majuscule. Celle que l’on écrit, que l’on publie, et celle que l’on tait, souterraine, parfois clandestine. Il s’agit d’un chevauchement constant et dont le photographe traite d’une série à l’autre. Tout est tourné vers la mémoire. Sous ce terme, il faut entendre une mémoire à hauteur d’hommes et de femmes, embarqués dans les histoires de leur temps. Sa première série, datée de 2009, plante les repères. A l’image de l’humain, les murs portent la narration. « Mes nouveaux plafonds » traite de l’abandon et du renouveau, de la superposition des couches. Dans une préface à son travail, il écrit : « Mon travail veut interroger le vieux et le neuf. Trouver ce qu’il y a d’achevé dans l’inachevé et inversement, faisant de l’entre-deux, un état à part entière.» Lubumbashi est ainsi faite. Et ceux qui l’habitent, celles et ceux qui y travaillent, sont à la même image.
« L’entre-deux » est une zone sous influence, un lieu qui tire d’un côté et de l’autre, celui qui s’y trouve. La RDC en est un exemple parmi d’autres. Les leaders sont antinomiques, les dieux aussi, les façons d’être et de paraître, et puis en fin de compte la conviction qui se bute à la nécessité. Le travail qu’il conduit sur le domicile familial (« Cette maison n’est pas à vendre et à vendre, 2017 ») participe de cette collision. Le titre le dit clairement. Conflit d’héritage et mise en vente forcée s’opposent à la conservation du bien et le respect au disparu. Après tout n’est-ce pas de cela qu’il est question quand on parle d’un pays, au lendemain (comme au présent) de la spoliation ?

Il y a quelques mois, George Senga a reçu une invitation prestigieuse de la Villa Médicis (Rome). Tout comme il le fait dans « une vie après la mort », cette résidence lui permet de suivre un homme. Lumumba lui avait donné l’occasion de rencontrer l’instituteur Kilobo, et de comprendre un mieux le mimétisme qui l’habitait. En somme le souvenir qui perdure et la fiction qu’il nourrit. Cette fois, il s’intéresse à un prêtre, Bonaventure Salumu qui par sa fonction n’aurait pas dû être père.
En 2017, le photographe a rencontré l’un de ses filles. De cette rencontre et des documents qu’elle lui confie, Senga va pouvoir remonter l’itinéraire. Ce travail s’intitule « Comment un petit chasseur noir Païen devient prêtre Catholique ». Ici l’adjectif porte la majuscule. Senga n’est pas un ethnologue, ni un photojournaliste. Ses portraits, ses constats d’histoire révèlent aussi une profonde poésie narrative. Petit chasseurs païens, cathédrales écroulées, reconquise par la jungle, instituteur nostalgique : ces personnages racontent notre quotidien, celui que nous rêvons et celui que nous vivons, dans un écroulement qui se répète et une naissance qui s’annonce.


« Mise à part la représentation physique, Kayembe Kilobo retrace son temps, ses expériences vécues et ses positions vis-à-vis de l’injustice, car il a essayé de faire la politique à un niveau communal. Il s’est fait arrêter pour des raisons de mésentente. Ces quatorze diptyques mettent en parallèle la vie de Lumumba (…) pour le pays et celle de Kilobo (…) pour sa famille dans un contexte différent.» Georges Senga, à propos de l’instituteur Kayembe Kilobo, dans « une vie après la mort ».
roger calmé (zo mag’)
Photos: Georges Senga
Portrait: Photo © Aleksandar Topalovic
https://www.georgesengart.com/
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Repères :
Georges Senga est né en 1983 à Lubumbashi (République démocratique du Congo). Il a étudié les sciences du langage, langues et affaires, licence de lettres et sciences Humaines , Université de Lubumbashi (2009).
Son travail photographique s’intéresse à l’histoire et aux histoires que révèlent « la mémoire, l’identité et l’héritage, éclairant nos actes et le présent. »
https://www.georgesengart.com/
Expositions (sélection)
2020: «Le vide», CBK ZUID Amsterdam, Amsterdam, Pays-Bas.
«Rebel Lives» de l’intérieur de la Lord’s Resistance Army, New York, USA.
On-Trade-Off «Le vide», La contrepartie, Centre Culturel Jean Cocteau, Paris (France).
2019: «Le vide» On-Trade-Off, The Weight of Wonders, Cargo in context, Amsterdam (PB).
«Le vide» On-Trade-Off, The Weight of Wonders, Biennale Contour, Belgique.
«FORMAT» Biennale de Lubumbashi, D.R. Congo.
«Cette maison n’est pas à vendre et à vendre» Vidéo SESC Brésil Biennale, Sao Paolo, Brésil.
Photographies de «Rebel Lives» de l’intérieur de la Lord’s Resistance Army, FOTO MUSEUM, Anvers (Belgique).
« Cette maison n’est pas à vendre et à vendre », Kigali Photo Festival, Rwanda.
«FORMAT» Multiple Transmissions: Art in the Afropolitan Age ‘, WIELS Bruxelles (Belgique).
«Cette maison n’est pas à vendre et à vendre» Fondation A Stichting, Bruxelles.
«FORMAT» Jan Van Eyck Academie, Maastricht, Pays-Bas.
Compromis «KOMBO YA SIKA», Le poids des merveilles, Imane Galerie Fares, Paris.
2018: «Cette maison n’est pas à vendre et à vendre» Addis Foto Festival, Addis Abeba, Ethiopie.
«KOMBO YA SIKA» Cap Town Art Fair, Cape Town, Afrique du sud.
2017: «Cette maison n’est pas à vendre et à vendre», Biennale de Bamako, Mali.
«Une vie après la mort», Biennale internationale de photographie et de vidéo de Changjiang, Chine.
« Cette maison n’est pas à vendre et à vendre» Atelier Market photo, Johannesburg, Afrique du Sud.
2016: «Purification» THE INCANTATION OF THE DISQUIETING MUSE, The Savvy Contemporary, Berlin, Allemagne.
«Une vie après la mort» L’ICONOGRAPHIE DE LUMUMBA DANS LES ARTS ET LE TRAVAIL DE RAOUL PECK», Université d’Anvers, Belgique.
2015: «Une vie après la mort» Biennale de Bamako, Bamako, Mali.
«Kadogos» Biennale de Lubumbashi, Lubumbashi, R.D du Congo.
«Une vie après la mort» Voie Off, Arles (France).
2014: Festival «Une vie après la mort» d’Addis Foto, Addis-Abeba, Ethiopie.
Chasse et collecte des «Kadogos» Mu.ZEE, Oostende, Belgique.
2013: Galerie «Une vie après la mort» de l’Asbl Dialogues, Lubumbashi, D.R. Congo.
2012: «Empreintes» Photo Africa 4, Asuncion, Paraguay.
«Empreintes» AFRICA NUMBER TWO, Recyclart, Bruxelles.
2011: « Empreintes » Photo Africa 4, Kenya International Film Festival, Nairobi, Kenya.
2010: Biennale «Empreintes» de Lubumbashi, Lubumbashi.
2009: «Mes nouveux Plafonds» PhotoAfrica 2, Tarifa, Espagne.
Prix et récompenses :
2019: Prix Thamie Mnyele 2019 Pays-Bas.
2018: DemoCrasee,, Biennale de Bamako, Mali.
2017: CAP PRIZE Bâle, Suisse.
2016: SADC Research Residency Prohelveltia, Afrique du sud.
2015: Leon the African RAM, Biennale de Bamako, Mali.
2014: SADC Research Residency Prohelveltia, Afrique du sud.
2009: Mention spéciale, PHOTOAFRICA, Tarifa, Espagne.
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