Ukraine / photographie / Boris Mikhaïlov / IL N’Y A QUE LES DECOMBRES QUI DISENT LA VERITE

Ses images sont à la fois des documents d’histoire, des récits, ils participent de la peinture autant que de la littérature. Depuis les années 60, Boris Mikhaïlov conduit sa recherche sur les décombres au temps de l’effondrement. Il s’agit bien sûr de l’Union soviétique et de cette emprise totale sur un pays, l’Ukraine, issue d’une même matrice, d’une identique culture, mais dont la singularité n’est pas admissible.

Des choses plus importantes que de penser à l’éternité
La Maison européenne a rassemblé pour cette rétrospective quelques 800 œuvres, représentant une vingtaine de séries, sur ces 50 années de travail. L’absurdité de ce monde y est permanente. Fixés dans la couleur éteinte, les uniformes de la grande armée, les rêves d’enfants, les palissades des chantiers, le ciel hivernal indéfiniment. C’est une histoire de ce temps, à l’image d’un grand roman au temps de l’embacle, carcasses humaines ou idéologiques, figées par la boue et le (dé)gel. Cette expo est la première d’une telle ampleur, à la mesure de cette époque et de l’obstination à le décrire. « J’essaie toujours de rester dans la mémoire des gens, je ne sais pas si ça marche, mais via la photo, je m’explique à moi-même et j’explique aux gens qu’il y a des choses plus importantes que de penser à l’éternité. La création et la vie ont toujours été liées, et je crois que c’est la photo qui me montre la vérité, ce n’est pas moi qui décide ce que je dois montrer, » expliquait-il dans une interview à Radio France (sept 2022).

Quand il réalise ses premières séries à la fin des années 60, Boris est loin de soulever l’enthousiasme. Le KGB s’est rapidement penché sur ces images et lui conseille vivement d’arrêter ses turpitudes. Il perd en même temps son job et est interdit d’enseigner. L’homme rit et poursuit dans cette même direction vers laquelle s’engouffrent les trains en béton de la Révolutions. Ce sont des images hagardes, parfois aux limites du cauchemar et du surréalisme blême, des autoportraits dérisoires, des scènes fortement imbibées de désespoir et de vodka. « En tant que photographe dissident, je découvre, j’observe et je traque en cachette« , dit-il de cette époque, qui sera celle aussi du collectif expérimental Vremya. De cette esthétique souterraine naissent les images d’ « Octobre », certainement l’une des séries rouges les plus importantes de Boris Mikhaïlov, et qui prend pour décor, entre autres, les cuisines collectives où l’Ukraine socialiste héberge son désarroi.

Cette exposition permet donc de voir très clairement ce qu’était pendant et après la période soviétique le délabrement de la république. La commissaire de l’exposition, Laurie Hurwitz, insiste notamment sur ces « clichés poubelles », portraits géants et images griffonnées, qui illustrent cette période transitoire, post soviétique. Cette mise à nu d’un pays maculé de rouge où les sans-abris exhibent « leur chair pâle devant le flash du photographe en échange en échange de quelques karbovanets. ». Ce sont des samizdats, des images griffonnées, plaqués sur les murs du désastre. Ils disent à ceux qui passent indifférents, en route pour les courses de Noël, rue Khreshchatyk (*), que les bombes sont tombées, plusieurs fois déjà, et que les victimes sont innombrables.

(*) la plus belle avenue de Kiev et ses commerces de luxe.

Journal ukrainien, Boris Mikhaïlov, jusqu’au 15 janvier 2023, Maison européenne de la photographie, Le Marais, Paris.
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: © Boris Mikhaïlov et by courtesy la MEP.

« J’essaie toujours de rester dans la mémoire des gens, je ne sais pas si ça marche, mais via la photo, je m’explique à moi-même et j’explique aux gens qu’il y a des choses plus importantes que de penser à l’éternité. La création et la vie ont toujours été liées, et je crois que c’est la photo qui me montre la vérité, ce n’est pas moi qui décide ce que je dois montrer. »  Boris Mikhaïlov

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Repères :
Boris Andreïevitch Mikhaïlov est né en 1938, à Karkiv (Ukraine). Il suit une formation d’ingénieur, puis il enseigne la photographie. À la fin des années 60, il présente sa première exposition, avant que le KGB lui interdise de donner des cours et de pratiquer. Durant cette période, son œuvre la plus célèbre est la « Série rouge », représentative de la révolution d’Octobre et dans laquelle il traite de la société soviétique.
Après la chute du régime soviétique, Mikhaïlov produit plusieurs corpus qui illustrent les répercussions du système et de sa désintégration sur les populations.

Expositions :
2022 : « Boris Mikhaïlov, Journal ukrainien », Maison européenne de la photographie, du 7 septembre  au 15 janvier 2023, Paris.
2019 : « Boris Mikhaïlov, l’âme, un subtil moteur à explosion », Centre Régional de la Photographie des Hauts-de-France, Douchy-les-Mines (France).
2012 : Première rétrospective en Allemagne à la Berlinische Galerie. Berlin (Allemagne).
« Tea, Coffee, Cappuccino, 2000-2010 », galerie Suzanne Tarasiève, Paris (France).
2011 : Expositions monographiques à la Tate Modern (Londres) et au MoMA, (New York), et pendant la Biennale de Venise.
2008 : « Look at Me, I Look at Water… or Perversion of Repose », galerie Suzanne Tarasiève, Paris.
2007 : « Tea, Coffee, Cappuccino » (fragments), Biennale de Venise (pavillon ukrainien).
2006 : Bereznitsky Gallery, Berlin (Allemagne).
2005 : Galerie Ilka Bree, Bordeaux (France)
     Centre de la Photographie, Genève (Suisse)
2004 : Institute of Contemporary Art, Boston (USA).
2001 : Saatchi Gallery, Londres (UK)

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