Avis d’expulsion. Immeuble à démolir. Terrain insalubre. Habitation dangereuse, radioactivité, risques majeurs d’effondrement, situation irrégulière… Le vocabulaire abonde de termes, qui couvrent quantité de réalités juridiques, mais une seule vérité. « Nous allons récupérer ce terrain et faire du fric avec ». Qu’il s’agisse des villes, des forêts, des mers, du ciel comme de l’enfer, votre place n’est pas ici. Les engins entrent en action et les populations sont déplacées. Ce jour-même !
Relire l’introduction. Aussi simpliste soit-elle, elle recouvre l’exacte vérité. Sur base d’éléments réels, quotidiens, la situation d’une ville américaine, au lendemain d’un cataclysme. Chaque fois, les conséquences sont identiques. Même constat brutal, dans une langue opprimée, des enfants de la rue, des favelas, des ghettos, des bidonvilles et de toutes les périphéries urbaines ou rurales que la géographie a inventés. L’écologie couvre beaucoup plus de sens que l’image policée le laisse supposer. L’écologie, c’est aussi ce que l’on fait d’une population volontairement détruite.


Imani Jaqueline Brown est une chercheuse guinéenne et américaine, dont la recherche se porte sur ces mutations du paysage et les conséquences produites par l’activité. Elle artiste, activiste et chercheure de la Nouvelle-Orléans, vivant à Londres. Son travail se consacre au « continuum de l’extractivisme », qui s’étend du génocide colonial et de l’esclavage à la production de combustibles fossiles. » A la suite des ravages provoqués par l’ouragan Katrina (Nouvelle-Orléans), ses réflexions ( et son engagement) se sont portés sur ce que le réchauffement pouvait engendrer d’inégalités et d’exclusion. « De nombreux survivants de la catastrophe de 2005 ne peuvent pas se permettre les privilèges obtenus sur leurs propriétés endommagées par l’eau et se retrouvent aujourd’hui déplacés de leurs maisons ancestrales. Les ménages et les magasins restent vides de leur substance. Les confiscations légales ont été normalisées et les fonctionnaires ont revendu les maisons perdues à des personnes plus blanches et plus riches. », écrivait-elle en 2015 avec ses collègues du collectif Blights Out (Mariama Eversley, Bryan C. Lee Jr., Lisa Sigal, Sue Press et Carl Joe Williams).
Le dernier travail de Jaqueline Brown s’appelle « Que reste-t-il aux extrémités de la terre ? ». Il est présenté à la 12 Biennale de Berlin. Vous pouvez être sûr(e)s une fois encore que personne ne viendra en parler. Les revues d’art ont autre chose à montrer que ces images satellitaires, ces cartographies de lumières, belles comme des dépressions chimiques, radioactives, d’une toxicité terminale, et dont le monde « made in » n’a rien à faire. Berlin le montre. Jacqueline Brown le répète et le peint. En 2015, le collectif Blights Out demandait aux artistes d’installer leur matériel devant les maisons détruites. Ainsi ils produiraient une forme de documentation et surtout ils établiraient un contact avec les nouveaux propriétaires des maisons restaurées de Sixth Ward près de celles qu’ils dessinaient. La plupart ont refusé de répondre à ce possible dialogue. La partie serait-elle déjà jouée ?
« La terre se réduit à la notion de propriété ou de terrain cultivable. Certains êtres sur ce terrain sont considérés comme précieux et certains sont considérés comme consommables, en excès. Comme pour le corps noir asservi, qui est fongible – il a la valeur d’une monnaie et d’une propriété jusqu’à ce que le corps soit épuisé et devienne un «déchet». » Imani Jacqueline Brown
A lire : l’interview de Jody Adwoa Pinkrah , dans Contemporary &, « Que reste-t-il au bout du Monde ? »
Imani Jacqueline Brown: What remains at the ends of the earth? | Contemporary And
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : © Imani Jacqueline Brown
Repères :
Imani Jacqueline Brown est née en 1988, à la Nouvelle Orléans, Louisiane (USA)
Elle a obtenu sa maîtrise avec distinction du Centre for Research Architecture at Goldsmiths, Université de Londres en 2019.
Expositions :
2022 : « Que reste-t-il aux extrémités de la terre ? » organisée par Kader Attia, 12e Biennale d’art contemporain de Berlin, Berlin, Allemagne.
« Cloud Studies », VISUAL Carlow, Carlow, Ireland.
2021 : « Si l’air toxique est un monument à l’esclavage, comment le démanteler ? », Sensing the Planet / Black Atlantic, Serpentine Gallery, Dartington, Royaume-Uni.
« Études sur les nuages » , Whitworth Museum, Université de Manchester, Manchester, Royaume-Uni.
2020-2021 : « Imagining De-Gentrified Futures », Apex Art, New York, NY, États-Unis.
2019-2020 🙂 An Anthropocene River, Haus der Kulteren der Welt, Mississippi River, États-Unis et Berlin, Allemagne.
2019 : Whole Life Academy, Haus der Kulturen der Welt et Staatliche Kunstsammlungen Dresden, Dresde, Allemagne.
2019 : « Plastcity of the Planet », Forensic Architecture, Centre for Contemporary Nature, Ujazdowski Center for Contemporary Art, Varsovie, Pologne.
2017-2018 : Gotong Royong: Ce que nous faisons ensemble , Zamek Ujazdowski Center for Contemporary Art, Varsovie.
« Debtfair », Whitney Museum of American Art, New York, NY, États-Unis.
2016 : « Debtfair » in Making Use: Life in Postartistic Times, Museum of Modern Art, Varsovie.
« Debtfair » in Precarious: Contingency in Artmaking and Academia, Gallery 400, University of Illinois at Chicago.
Agitprop, Brooklyn Museum, Brooklyn, NY (
2015 : Debtfair, Art League Houston, Houston, TX, États-Unis
2014 : Work It Out, Momenta Art, New York, NY, États-Unis
« Ritual Re-branding of the David H. Koch Plaza on the Day of its Dedication », Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis.
2013 : « Debtfair », Abrons Art Center, New York, NY, États-Unis
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