Ça fonctionne pour la photo comme pour la peinture, d’une façon « américaine » ! Sous ce terme, il faut entendre l’idée d’urgence. Un truc qui arrive, sans trop se poser de question, jusqu’au fond des tripes. Allez jeter un œil sur les images de Bruce Gilden. Le mot est à la mode, ce sont des photographies de rue. Mon dieu, un jour il viendra des sous-catégories encore plus abstraites, encore plus vides de sens. Stop ! Regardez ces images de New York. Gilden bosse avec un Leica, et c’est un fichu bon appareil qui décale un chouia l’image, comme si elle s’échappait à elle-même pour atteindre sa propre vérité. Les photos de Bruce Gilden sont des diamants bruts, des pierres non taillées, des visages remplis, bousillés par le feu intérieur, par le vrombissement et l’accélération. Ce sont des photographies prises au-travers de la ville immense et incessante, dans le chaos qui recommence chaque jour, qui annonce clairement la couleur (ou le noir et blanc), et qui vous dit : « C’était le moment de partir, il fallait y aller. Maintenant. »
Au printemps 2020, à la première attaque du Covid, Bruce, sa femme et son Leica se sont retrouvés prisonniers de la situation. Dans le livre qu’il publie, Gilden décrit cette situation comme un fichu merdier. L’immobilité. L’inertie à vous rendre dingo. Et puis en mai, avec les émeutes qui ont suivi la mort de Floyd George, il est reparti en campagne. Et c’est là, dans ce boucan revenu, dans ces brassées printanières, noires, hurlantes, d’injustice et de nécessité qu’il a croisé les Bikers, au Barclays Center.

C’est là, dans ce boucan revenu, dans ces brassées printanières, noires, hurlantes, d’injustice et de nécessité qu’il a croisé les Bikers, au Barclays Center.
Les Bikers, ce sont les motards, la horde sauvage, marginale, libertaire, joyeuse, solidaire des pilotes d’engins. Les Bikers, c’est l’Amérique en vrai, si tenté que la fausse Amérique ait survécu à ses propres mensonges. Bruce Gilden a tenu son Leica bien droit et les images venaient dans le boitier, et les cris montaient comme des battements des ailes et des cœurs. C’étaient des jours de joie, c’était la naissance d’une nation. Il a photographié par centaines ces visages plus singuliers les uns que les autres, des visages qui sont d’abord des histoires, de fichus merdiers, des rédemptions parfois, des aveux consentis à la clarté du jour et à celle du crépuscule. C’est rare, mais il arrive aussi que la nuit vienne et alors les dents de l’homme noir sont comme l’or de la lune. Le livre est là. La photo est là, et la main de Gilden fait un signe aux gens qui passent.
RC (ZO mag’)
Photos : by courtesy Bruce Gilden
,

Bruce Gilden : The Circuit, Dewi Lewis Publishing.
128 pages / ISBN : 978-1-911306-91-7
40,00 £
www.dewilewispublishing.com
Repères :
Bruce Gilden, né en 1946 à Brooklyn, New York, est un photographe américain adepte de la photographie de rue. Il vit et travaille à New York. Membre de Magnum Photos depuis 2002. Né à Brooklyn, New York, Bruce Gilden est surtout connu pour sa photographie de rue. Il a publié plus de vingt livres. Membre de la prestigieuse agence MAGNUM, il est boursier Guggenheim et a remporté plusieurs prix, dont le prix des éditeurs européens pour la photographie.
Laisser un commentaire