C’est une maladie récurrente, une amnésie que rien ne semble vouloir dissiper. Si vous aborder la discussion de la photo en pays musulman, on a de la peine à imaginer combien d’artistes nourrissent avec passion, détermination et talent le sujet. En 2015, au moment de la première biennale photographique organisée par l’Institut du monde arabe et la Maison européenne de la photographie, Daoud Aoulad Sypa avait si clairement cerné la question. Il comparait avec la même nécessité les nourritures terrestres et artistiques, indispensables à la santé humaine. Voilà qui peut donner à réfléchir à des galeries engluées dans leurs mercantiles habitudes.
Deux années se sont écoulées et le Liban servait en 2019 cette fois de thématique à l’évènement. Le Liban, c’est quinze années de guerres, de massacres, des familles mutilées. Et c’est aussi une photographie à la dimension de ce désastre. Dans un intérieur ordinaire, Lamia Maria Abillama figurait une famille de femmes en treillis et d’une adolescente qui n’était pas en âge de le porter. Les visages sont graves. Ils disent un drame à peine supportable, vécue par plusieurs générations. Oui, la photo arabe, proche-orientale, égyptienne, israélienne est vivante et on n’a pas fini d’en parler.

« A propos de mon travail, il s’intitule «La mer tant rêvée». J’ai raconté comment je vois la mer dans mon imaginaire. Je peux dire que j’ai appris beaucoup de choses durant le confinement. Et sincèrement, on peut raconter des histoires avec rien. En fait, j’ai réalisé ce travail avec une petite caméra. Il suffit d’avoir les idées pour créer. » Daoud Aoulad Siyap
Pour en revenir à Daoud Aoulad Siyap, qui est également cinéaste, il offre un éclatant raccourci à la compréhension de ce monde. Si la photo est rendue difficile dans cette partie du monde, si l’Islam pose un frein à la représentation du visage, cette contrainte a été aussi l’occasion d’exploser la frontière plastique. Il y a un an, à l’occasion d’une résidence au Maroc, Hasna el Ouarga montrait d’étonnantes prises de vue au temps premiers de la lumière. Dans ce « Fragments d’une mémoire anonyme », elle parlait « d’un travail qui est basé sur la double exposition pour traduire la double temporalité dans le rêve. » A l’image des travaux de Christian Schad et Man Ray (1919), elle reposait cette question plasticienne qui ne cesse d’interroger. « Cette lumière précède-t-elle le lieu, ou bien en est-elle la résultante ? La poésie qui s’en dégage nous aidera-telle à concevoir d’autres places à notre besoin de Dieu. » Pour l’une des premières fois, une photographe menait ce type d’incursion philosophique.

Quel impact, quelles retombées sociales (ou l’inverse), quels liens au commerce mondial et à la loi du marché ? « Qu’est-ce qui aurait pu être, qu’est-ce qui pourrait encore être et qu’avons-nous perdu ? » Amina Kadous
On est donc tenté d’écrire, « cette formidable photographie de l’Orient ». Par la richesse et la diversité qui s’en dégage, nous sommes sidérés. Il faut voir le travail sur l’absence que nous donne Wayne Habbad, sujet éminemment politique et qui traite de la disparition des prisonniers, et du vide ainsi créé dans les cités de l’oubli. Voir et revoir les clichés d’Amina Kaddous (Egypte) sur les ravages que la culture du coton a pu provoquer ou encore, s’attarder aux portraits de Mariam Boulos, dans la nuit du désir, femme entourée d’hommes, femme libre et hommes pluriels, interchangeables, hommes objets. La photo arabe est un formidable vivier. Elle respire en grand le monde que nous avons fabriqué et elle renvoie de celui-ci l’image discordante, jamais silencieuse, juste une aberration.
« Dans le monde arabe, il y a toujours eu cette censure. Les gens ne se photographient pas. Parce que la photographie est bannie dans l’Islam. Photographier quelqu’un, c’est prendre son âme.* » Daoud Aoulad Siyap
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Repères :
Daoud Aoulad Siyap est né à Marrakech en 1953.
Expositions :
1986: United Virginia Gallery. Virginie. USA.
1987: Bloomingdale New York / Galerie Brennpunkt, Berlin / Université Austin Texas.
1988: Musée d’Asilah. Maroc.
1989: Expositions itinérantes dans les FNAC de France et de Belgique. / Galerie Bazille. Montpellier.
1990: Institut du Monde Arabe. Paris.
1991: Musée d’Aquitaine. ARPA Bordeaux.
1993: Museum Voor Volken Kunde. Rotterdam.
1996: Nederlands foto Instituut. Rotterdam.
1998: Mois de la photo à Bienne en Suisse.
1999: Galerie Municipale du Château d’eau. Toulouse. France.
2012 : Photomed, France / Galerie de l’aimance, Casablanca, Maroc /. Daba Maroc Bruxelles.
2013 : Photomed,Sanary – sur – mer, 23 Mai – 16 Juin. France.
2015 : Maison Européenne de la Photographie – Paris – 12 Novembre 2015 / 17 Janvier 2016.
2018 / 2019: Exposition photographique itinérante dans les instituts français du Maroc
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