Afrique du sud / photographie / Lunga Ntila / MON VISAGE ET LES SIENS

C’est un peu comme ce puzzle que l’on donne à l’enfant. Il est devant des morceaux de bois, dans des couleurs et des formes différentes, et il lui faut recomposer une image. Pas facile de trouver la cohérence. Ou mettre la bouche, s’il s’agit d’un visage ? Est-ce la bonne oreille ? Et ces lèvres font-elles partie du tableau ? Lunga Ntila devait partir de cette réflexion quand elle a construit ses premiers portraits à partir de photographies d’elle-même. La plasticienne cherchait à rendre cette complexité de l’assemblage qui n’est autre que votre personnalité, avec ses doutes, ses fragilités, un sentiment d’incomplétude parfois, une volonté de faire au mieux, dans un monde qui est à la même image, instable et de densité variable.

A l’origine, la jeune photographe sud-africaine n’a fréquenté aucune école artistique, ce qui ne simplifie aucunement ses recherches et une fois l’œuvre produite les bons gestes pour la montrer. « Les choses que j’entends dire sur les collectionneurs me donnent l’impression que le monde de l’art est réservé aux artistes traditionnels », disait-elle au moment de sa première exposition en 2019. Son travail a très vite retenu l’attention de Banele Khoza, fondateur de la galerie BKhz (Johannesburg), et qui voit sa plateforme comme un moyen de soutenir les jeunes artistes privés de réseaux.

Quand on l’interroge alors sur l’origine de ces recherches, elle répond : « Je suis attirée par le squelette de l’identité, de la conscience, de la perspective et du cadrage, comme moyen de comprendre les idéologies qui régissent les différentes facettes qui existent en nous et autour de nous ». De même elle évoque l’influence de Helen Sebidi, qui travaille aussi sur cette idée d’avoir plusieurs visages. Et partant de là, de côtoyer d’autres temporalités qui se superposent au présent. Le collage est un mot qui convient parfaitement et recouvre bien plus que le simple ré-assemblage numérique. Il est une tentative de formulation, de composition de ce que la réalité habituelle ne parviendrait pas à traduire.

La série « Ukuzilanda », débutée à cette période, est un premier aboutissement dans sa recherche. Cette fois, la photographie a le désir d’établir un lien entre le monde visible et celui qui nous précède. La notion de l’ancêtre, protecteur et omniprésent, tient une place centrale. Le monde est d’une férocité telle que ce recours est le bienvenu. Le territoire du sacré lui offre en même temps le réconfort. Il semble alors que ces esprits aient contribué à son épanouissement. Outre cette première exposition solo, la maison d’édition Dream press lui propose la réalisation d’un livre sous ce même titre Ukuzilanda. Le noir et le blanc composent toujours l’essentiel de l’image, tandis que le rouge vient peindre les lèvres de ses personnages, le rouge vibrant et provocateur, sentimental qui se superpose à la sombre beauté des masques.

Où habite la figure de sa grand-mère –oMabhayi– entourée des abeilles protectrices, attachées à la lignée.

Les éléments ont ainsi trouvé leur place. God is among us! (Dieu est parmi nous !) avance dans cette même direction, source lumineuse et réconfortante qu’habite la figure de sa grand-mère –oMabhayi– entourée des abeilles protectrices, attachées à la lignée. Peu à peu le monde se recompose, dans sa complexité première, débarrassée de la contingence habituelle, systèmes binaires et incomplets.

Trop de sorciers traînent dans les rues de la nouvelle Afrique. Elle le disait dans une interview au moment où « God is among us » était exposé à Johannesburg. Trop de sorciers. Cette dernière phrase est la plus difficile à écrire. Au mois d’août dernier, Lunga Ntila a franchi cette porte qui mène à l’envers du visage. A l’envers, ou est-ce le contraire, dans le bourdonnement lumineux des abeilles.

« Enfin, j’avais découvert un moyen d’exploiter mes expériences – en prenant des fragments disparates du monde qui m’entourait et en les transformant en portraits des visages que j’avais connus. » Lunga Ntila

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Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: © Lunga Ntila
Lunga Ntila – Ukuzilanda — BKhz
A lire: https://nataal.com/lunga-ntila

Repères:
Née en 1995 à Johannesburg, Lunga Ntila a grandi entre l’Afrique du Sud, l’Allemagne, le Bénin et les Pays-Bas. Elle est décédé en août 2020.
Sa première expo date de 2019, (galerie BKhz). En 2020, son premier livre, Ukuzilanda, a été publié par Dream Press. Outre son travail de photographe plasticienne, elle travaille également avec la mode. 

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