C’est une question que l’on pose rarement au peintre. Savoir ce qu’il pense de la photographie. Pourtant, les deux médiums ne cessent de se courir l’un après l’autre et de se manger à moitié (la tête et la queue). C’est une relation bien établie. Qui a commencé la première ? Figurer le réel, et que la fiction qui en sort soit plus acceptable que la réalité. Après tout, la peinture a longtemps pratiqué l’exercice.
Et que pense le peintre de ces manipulations ? « Représenter et afficher cette figuration, la voir reconnue, que l’on soit peintre ou photographe, il s’agit ni plus ni moins de la même chose. Du pouvoir. » Avec son humour habituel, Éric Bruly (peintre) a figuré ces derniers mois plusieurs toiles en « selfie ». Voilà un mot « contemporain », qui ratisse très large, dans toutes les couches, toutes les envies et besoins. Les « selfies » d’Éric sont comme à l’accoutumée, mélanges mélancoliques et cubistes, qui rappellent son passé et le jour qui vient d’arriver. Sous son pinceau, un enfant, une mère, un joueur de sax, dans sa réalité sous le flash. Instant arrêté, matériel et spirituel à la fois.
Photographions maintenant cette toile et celui qui l’a peinte ! Pour peu qu’elle soit publiée au bon endroit, « elle met la lumière sur toi. Tu es photographié ? parce que tu en vaux la peine. Et ça finit comme une sorte de dictature. En tous cas, cet instant devient tellement nécessaire, qu’il te prive de ta liberté. » Il éclate de rire, parce que cette illusion dure à peine plus de temps que l’obturation de l’objectif. Eric est ravi. Une seconde, ajoute-t-il, et tout s’éteint. « Plus personne ne voit la toile. Ni la photo d’ailleurs, toutes les deux englouties. Plouf ! »

La photographie ne serait rien qu’une expression sélective et réductrice ? Une sorte de diktat de la représentation. « C’est très déroutant, » ajoute-t-il. « Tu dis « réductrice », oui, parce qu’on ne voit que cet instant. Le temps est… aboli. Je trouve ça assez religieux, super moral, un peu comme ces tableaux occidentaux, l’imagerie, avec le Christ suspendu et les apôtres qui prient, agenouillés (sourire). La photo d’information fonctionne un peu de cette façon. » Et en même temps… Eric Bruly émet un bémol. On peut aller au-delà ? Est-ce que la photo n’est pas comme l’alphabet de M. Bouabré, phonèmes à disposition du poète, qui parle son livre et le retranscrit ? Pixels ou pigments, médiums associés. Verbe visuel. Il arrive sur la photo… qu’Eric ressemble à son tableau.

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RC (ZO mag’)
Photos: E. Bruly
Contact: ericbruly@gmail.com
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