C’est un jeu de correspondances. Une image en rappelle une autre, et ainsi de suite. Cette souffrance est si profondément ancrée, qu’il faut la prononcer par tous les moyens. Des corps se couvrent d’écailles, des végétaux montrent la blessure que rien n’efface. Kani Sissoko tisse ainsi tout un réseau de signes qui traduisent le traumatisme, à l’image de ses arbres (exposition de 2018, festival d’Houlgate, France). Des troncs qui saignent dans la souffrance d’une cicatrice. Un sexe refermé et une coulée de sang qui s’en écoule. Elle dit en d’autres « mots », sous une forme différente.
En Afrique, la réalité est un fondement du langage photographique. On peut ensuite prendre des libertés dans la forme, mais la vie quotidienne est au commencement du travail. De la même façon que Louis Oké-Agbo s’est intéressé à la maladie mentale au travers de ses images et de son association (Bénin), Kani Sissoko entretient une parole de femme qui affirme son identité, ses droits et ses rejets. Dans sa décision même de devenir photographe, une quête de liberté apparaît. « Au Mali, ça n’est pas facile d’être une femme photographe, cela demande du courage. Aucun membre de notre famille ne nous y encourage ; ils croient que c’est un travail d’homme. » Sans doute est-ce l’une des qualités qui a retenu l’attention de Françoise Huguier (Agence VU) et de son assistant Seydou Camara. L’une de ses séries sera ainsi montrée à Houlgate. Elle figure ces arbres, dans le long travail de la cicatrisation, et qui est un terme « générique ». Cicatrisation de la vie en général, de l’angoisse, du rejet, de chosification.
Dans ce quotidien malmené, face aux massacres, au manque d’éducation, à l’absence de soins, sa photographie pose la force du constat. Elle dit. Rien n’altère, ni n’étouffe sa voix. Le choix plasticien participe à rendre le propos plus audible. Ces corps sont en demande de réparation … à l’image de ce monde, du cycle naturel, de la beauté des choses. Des corps et des sentiments mutilés. Réparation.
Il y a deux ans, L’ONU rassemblait des artistes venues de tous les horizons. L’exposition parlait plus précisément de cette « prise en main de la paix ». Deux photographes africaines avaient été retenues. Kani Sissoko et Ley Uwera. La première vient du Mali et la seconde du Congo. Deux terres martyres, des millions de femmes en danger, et quelques rares voix (visuelles) qui continuent de dire, d’écrire, de photographier.
« En marchant, j’observe souvent les troncs d’arbre marqués par l’Homme à des fins notamment de santé ou de sacrifice. Je suis sensible à leurs cicatrices qui ont tendance à communiquer, à travers leurs formes et couleurs, des silhouettes qui nous rappellent la nature. Ces images nous renvoient à nous-même, nous questionnent sur nos actions de transformation du monde et leur impact (…) » Kani Sissoko
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: Kani Sissoko
Repères:
Kani Sissoko est née en 1988, à Bamako (Mali).
Elle est diplômée de l’Institut National des Arts.
Depuis 2014, elle a exposé régulièrement lors des Rencontres de Bamako (off) et de la Quinzaine de la Photographie au Bénin. Ses travaux ont été retenus également pour plusieurs collectives en Europe ( Les femmes s’exposent, éditions 2018 et 2022), ou encore les Femmes prennent en main la paix (New York, 2021).
En parallèle à son travail créatif, elle s’implique dans des ateliers de formation à la photographie de journalisme.
http://www.lesfemmessexposent.com/edition-2018/kani-sissoko-afflictions/
A voir: https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/afrique-hebdo/20210920-la-photographe-kani-sissoko-lutte-contre-les-clich%C3%A9s
zoes.fr 
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