Ses images vous en disent plus long que toutes les biographies, même si celles-ci sont très explicites. On a coutume d’appeler Jürgen Schadeberg, le « père de la photographie sud-africaine ». Pendant 35 ans, il a enregistré les mouvements de la société. Il le dit parfois dans un sourire : c’est un pays dans lequel on n’a pas le loisir de s’ennuyer. Les négatifs sont là (deux cent mille au cours de sa carrière) et ils le disent avec une grande précision. Jürgen Schadeberg raconte des histoires individuelles. Ses portraits sont serrés, dans des actions qui leur donnent du sens. Quand on regarde nombre de ses images, rares sont celles qui figurent des groupes importants. Il s’agit souvent de gens pris dans une situation, la prison, l’arrestation, le jeu, la musique, le souvenir, seuls ou dans un cercle réduit. Schadeberg les photographie au plus près de l’expression et du mouvement. De cette façon, le personnage apparaît dans une forme de « vérité ». Rien ne perturbe l’expression. La scène est reflétée par ce regard.

Ce respect de l’humain a été acquis très jeune. Toute la jeunesse de Schadeberg s’est déroulée en plein nazisme. C’est d’ailleurs parc ce rejet qu’il explique sa venue en Afrique du sud : « Je trouvais que les anciens nazis étaient toujours actifs en Allemagne et que rien n’avait fondamentalement changé dans la psyché du peuple allemand. » Il se souvient d’abord avoir voulu partir pour les Etats-Unis. Mais c’est en Afrique du sud qu’il finit par migrer en 1950. « Je suis passé de la poêle à frire au feu – d’une Allemagne nazie raciste à une Afrique du Sud raciste et injuste. Grandir à Berlin pendant la guerre m’a donné une conscience de l’injustice, alors j’ai été choqué -mais mentalement préparé- aux parallèles entre les deux pays. »
Pendant plus de 30 ans, il documente ainsi la société au service du magazine noir, « Drum » dont il deviendra plus tard le directeur artistique. Des images qui concernent aussi bien la réalité sociale, les grands leaders du moment (voir sa photo légendaire de Nelson Mandela, dans sa cellule de Robben Island), les manifestations, les procès. Et quand l’envie le prend, de capter la note bleue, le swing terminal, la pulsation du jazz.


Au milieu des années soixante-dix, Schadeberg est revenu en Europe. Et sa photographie n’affiche aucune rupture. Blancs ou noirs, tous ces gens vont victimes d’une identique exploitation. Ils vivent dans des faubourgs pauvres et des ghettos industriels. Mais à cette époque, dit-il, il est possible de le photographier. « Des magazines et des journaux tels que New Society, The Sunday Times, The Observer, le Weekend Telegraph Magazine, Die Zeit accueillaient des histoires de ce genre. De nos jours, il est très difficile de publier des histoires sur des questions sociales. »
En Europe, rares sont les lieux qui ont exposé le travail de Jürgen Schadeberg. A la disparition de ce dernier (2020), Olivier Sultan (Art Z) avait montré nombre de ses images sur la revendication des droits. Scott Billy et Kari Smith élargissent un peu plus encore ce choix.. Leur fond rassemble à la fois les portraits liés au combat, la résistance à l’Apartheid, que les boîtes à jazz de Joburg et les portraits des chanteuses de blues. C’est une option formidablement vivante et fidèle à l’arc-en-ciel où l’ombre et la lumière se côtoient. Cinquante images arrêtées d’une histoire en mouvement.
“La photographie est comme actionner le bouton pause de la vie ; vous capturez un moment qui disparaîtra pour toujours, impossible à reproduire.” Jürgen Schadeberg
Danse San Trance, Jürgen Schadeberg (possibilité sur rdv). Galerie Bonne Espérance, 3 rue Notre Dame de Bonne Nouvelle, 75002 Paris.
https://bonne-esperance-gallery.com/exhibition/san-trance-dance-jurgen-schadeberg/
RC (ZO mag’)
Photos by courtesy Bonne Esperance Gallery et Jürgen Schadeberg.
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Repères :
Jurgen Schadeberg est né à Berlin en 1931. Adolescent, il a travaillé comme apprenti photographe pour une agence de presse allemande à Hambourg. En 1950, il émigre en Afrique du Sud et devient photographe en chef, rédacteur en chef et directeur artistique de Drum Magazine.
Considérée comme le « père de la photographie sud-africaine », il a pu couvrir les mouvements libérateurs, sa base comme ses leaders, et cela jusqu’à la fin de l’apartheid.
Son œuvre majeure, qui s’étend sur 70 ans et intègre une collection de quelques 200 000 négatifs.
Jürgen Schadeberg est décédé en 2020.
Collections :
Arts Council Collection, Royaume-Uni (en septembre 2020).
National Portrait Gallery, Londres : (en septembre 2020).
Tate, Londres.
Victoria and Albert Museum, Londres.
Très intéressant, merci beaucoup.
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merci à vous Louise, bonne soirée.
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