Il y a tellement de façons de voir la guerre. Des gens sont tués, des corps gisent. Des maisons sont éventrées, des troupeaux décimés. Il fait très beau, et c’est assez terrifiant, toute cette lumière sur l’abyssale laideur. Il pleut, il fait un froid épouvantable, et nous disparaissons dans l’hiver immobile. Tellement de manières de dire l’horreur.
Goran Tomasevic ignore ces mises en scène de la catastrophe. Il ne les juge pas inutiles ou factices, ou je ne sais quel adjectif, qui en minimiserait la réalité. Simplement, il va à l’humain, dans cet instant ou dans sa périphérie de ce drame qui est le sien. C’est la guerre, des gens en sont les otages, des personnes comme vous et eux, qui ont du mal à comprendre. Les images de Goran Tomasevic sont souvent dans cette matière. La photo d’un soldat en Irak au moment de la chute de Saddam Hussein parle de ça. On voit la statue du dirigeant qui bascule dans le vide. C’est dérisoire. Cet immense bonhomme métallique qui chute et s’immobilise, le bras tendu vers la terre. Le soldat est de profil, tout près de l’objectif, ses yeux sont stupéfaits. Il semble ne pas comprendre. Goran Tomasevic non plus et il photographie pour dire l’absurdité de tout ça.


Goran Tomasevic est né à Belgrade, en 1969. A 27 ans, il commence à travailler pour l’agence Reuters, comme photographe indépendant lors des émeutes anti-Milosevic. Il couvre ensuite le conflit irakien à Bagdad, le conflit israëlo-palestinien à Jérusalem, et il photographie l’indépendance du Sud-Soudan, avant de partir pour le Kivu, le Mozambique, le Burundi et la Syrie… Partout. Le 3 août 2012, il photographie un enfant, dans la ville d’Azaz, à 47 km au nord d’Alep, qui tient une kalash. Et dans ses yeux, cette même incompréhension. En 2019, avec des collègues de Reuters, il reçoit le Pulitzer Prize Breaking news pour un travail sur la migration sud-américaine vers les Etats-Unis. Des milliers, des centaines de milliers d’humains qui s’embarquent pour un endroit qui n’existe pas. Ou si mal.
Goran Tomašević parle très peu. Tout juste dit-il qu’il ressent le besoin d’y aller. « Que si je renonçais, je me sentirais très mal avec ça, ce serait comme de les abandonner. » Dans le livre, publié par les éditions Lammerhuber, il y a quelques phrases que relève Alain Mingam. Elles sont très concises et parlent de la responsabilité de l’homme de voir et de « dire ».
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Goran Tomašević, by David Thomson, Jean-François Leroy & Vincent Jolly.
444 pages, 254 photos, textes en allemand, anglais et français.
Edition Lammerhuber, 59 €.
RC (ZO mag’)
Photos: by courtesy © Goran Tomašević / Edition Lammerhuber
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