On revient à l’image brute ? celle qui est au plus près de la lumière, qui n’entrave en rien la circulation claire. C’est un aveu de philosophie ? Non, juste une envie de retrouver l’émerveillement du premier matin. Emma Louise Prin entretient cette proximité. Peu importe le défaut, le flou possible. Ce sont des inexactitudes pleines de sens, au contraire. L’image est là, contenue dans le mouvement même de ce qui l’éclaire. Plus d’objectif, plus de focale, rien que la sensibilité du papier et le contact physique de ce flux. Emma Louise Prin entretient cette proximité.
Une phrase de Miroslav Tichy l’affirme ainsi : « Les défauts font partie intégrante de la photographie. C’est ce qui en fait la poésie, lui donne sa qualité picturale. Et pour cela vous aurez besoin d’un mauvais appareil photo. » Quelques plasticien(ne)s se sont engagé(e)s dans cette direction. On pense à la marocaine Hasnae El Ouarga qui sensibilise le papier et pose à sa surface des masses minérales et mémoriales. Emma Louise travaille d’une manière proche, au travers d’une boîte noire, percée d’un trou minuscule, qu’on appelle sténopé. Il s’agit d’une très ancienne technique, développée au milieu du 19ème siècle (pinhole de David Brewster, 1856). La pose dure plusieurs minutes, le résultat est aléatoire et relève toujours d’une surprise. C’est dans cette incertitude qu’Emma Louise trouve les éléments magiques.

Les travaux qu’elle montre cet été à Bonnieux sont empreints de cette incertitude. Emma est une artiste silencieuse. On sait très peu de choses sur elle. Aucune information sur son parcours. Juste ces images sorties d’un songe, lumières effritées, rongées par l’humidité, soumises au temps, porteuses d’histoires à demi-muettes. Deux femmes s’observent, se touchent. Il semble qu’elles soient parentes. Peut-être s’agit-il de la même personne. Dédoublement, superposition. L’image et l’original, dans un même écho, hors et dans la photo. Résonnance.
« Mes sténopés sont aux antipodes de la perfection et de la maitrise numérique. Il sort de la boîte à chaque fois une image hantée de fantômes, empreinte d’une mélancolie poétique qui me fascine. » Emma Louise Prin
L’Art secret à Bonnieux, de juillet jusque mi-septembre (Journées du patrimoine). Parcours artistique libre d’accès.
https://www.pablo-bonnieux.fr/
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: Emma Louise Prin
https://www.emmalouiseprin.com/accueil
Laisser un commentaire