Ethiopie / Peinture / Selome Muleta / LA CONSCIENCE EST DANS CE VASE

Aucune frontière n’existe entre vous et le lieu du sentiment. Au dedans de vous, ou au dehors, aucune différence. Tout est lié, tout est correspondance. Selome Muleta a construit toute sa peinture sur ce sentiment. Et s’il est facile de l’écrire ou de l’expliquer, le peindre est infiniment plus complexe. Sans recourir à des artifices, de donner à voir l’intimité dans un fruit, une chaise, l’ombre d’un chat, relève d’un exercice quasiment magique. Quelques peintres l’ont fait, et il ne faut pas dire lesquels, parce que Selome a tout juste 30 ans, et que son chemin vient à peine de commencer.

Il y a quelques mois, Londres a pu voir sa première exposition individuelle. Le titre était vertigineux, parce que le sentiment l’est tout entier. Il tient d’une perte soudaine, comme un déséquilibre, qui vous absorbe et vous rejette aux limites de vous-même. « Collapsing Space » est de cette nature, dans le franchissement, comme la seconde qui précède le sommeil. Les yeux clos, la lumière qui passe au travers du feuillage et colorie en mauve l’intérieur de vos paupières. Juste l’ombre de la lumière en somme, et l’éloignement croissant de la main et de l’herbe sur laquelle le corps est couché (Collapsing Space VIII).

Les yeux clos, la lumière qui passe au travers du feuillage et colore en mauve l’intérieur de vos paupières.

La peinture de Selome affectionne ces lieux d’herbe et de bois. Souvent, elle les photographie et ses pieds ne sont jamais loin, parce qu’elle est cette clairière. « Je ne vois pas beaucoup de différence entre les deux entités. Ce que j’aime faire, c’est les rassembler, les éléments de nature morte qui pourraient être des intérieurs, des objets, des fleurs, la nature, en d’autres termes, l’environnement d’une personne avec un portrait. Je vise à unifier ces deux aspects », dit-elle de la même façon pour les choses qui l’entourent, dans l’intérieur de la maison. Les lieux font partie de nous et le contraire est tout aussi vrai, c’est-à-dire tangible, que ces endroits sont porteurs d’âme, et qu’il serait temps d’en prendre conscience… au risque de perdre son équilibre.

Si les visages parfois disparaissent, comme pris dans une ombre ou plutôt un contre-jour, il n’y a pas de perte dans ce glissement lumineux. Le visage est allé ailleurs dans la clarté du bouquet, par exemple, ou cette allure satisfaite que le chat adopte sur les genoux d’une femme, à quatre heures de l’après-midi. C’est alors comme le silence dans une conversation. Des notes de musique remplissent les intervalles. Selome peint le sentiment, mais il lui arrive aussi de peindre la musique, qui est, dit-elle, pareille à une eau qui court. Et une fois encore, le sentiment revient, d’une clarté mouvante qui recouvre, comme le rocher sur lequel passe une rivière, dans la transparence, le chuchotement de l’eau et le bourdonnement des insectes. C’est à cela que « Collapsing Space » tend. L’harmonie possible (et figurée) d’un lieu qui est le temps interrompu, d’une seconde en trois dimensions, et d’un corps au milieu qui est, sans avoir à se nommer.

L’harmonie possible (et figurée) d’un lieu qui est le temps interrompu, et d’un corps au milieu qui est, sans avoir à se nommer.

« De la même façon, j’ai peint depuis plusieurs semaines la musique. Elle me fait ce sentiment de couler sur mon corps et de laisser des particules de vie. La musique est un sentiment essentiel qui redonne au corps l’énergie et la profondeur. (…) Le corps est la pierre sous cette couleur, l’impression d’un tourbillon qui va entre les arbres, entre les murs de la pièce. »  Selome Muleta

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: DR et by courtesy Selome Muleta

Repères:                                                                                      
Selome Muleta est née en 1992,  Elle a étudié l’art à l’Abyssinia Fine Art School (2012) et à l’Entoto Polytechnic College (2013-2014).   

Expositions:
2018: « Azurit » (Turn Around),  galerie Fendika, Addis-Abeba, Ethiopie.
2019: « Who___The monde ? », centre d’art Guramayne , Addis-Abeba.
     Collective, Alliance Ethio-Française,  Addis-Abeba.
2020: « In Relationship »,  Alliance Ethio-Française, Addis-Abeba.
     « Inner Radiance », Tsedal à Addis Fine Art, Addis-Abeba (2020)
2022: Espace qui s’effondre, Addis Fine Art, Londres (GB).

A lire aussi: https://zoes.fr/2020/09/15/ethiopie-selome-muleta-vues-interieures-avec-femmes/
et: https://zoes.fr/2021/02/20/ethiopie-selome-muleta-tout-ce-qui-reste/
          

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