Maroc / Plasticienne / Ghizlane Sahli / DANS LE VENTRE, AU FOND DE LA MER

Le monde fonctionne de façon organique. Ce process est universel et concerne aussi bien le végétal, l’animal que la pierre. Guizlane Sahli part de cette évidence, qui lui paraît assez bien résumer notre passage terrestre. Elle sourit, parce qu’il ne s’agit pas seulement de l’homme. Et c’est dans ce majestueux distinguo que son œuvre se construit. Il faut lire entre les lignes, plonger au fond de ce splendide organisme, pour comprendre de quelles lois nous sommes faits, humains et végétaux, mais aussi de choses bien plus vastes, et tellement lointaines, que notre main peut à peine les dessiner.

Quand elle a présenté en 2018 son travail à Marrakech, la réaction première du public tenait de l’émerveillement. Difficile d’user d’un autre mot devant ces constructions tridimensionnelles de plastique et de soie, d’un apaisement absolu, d’une lumière… qui n’appartient à notre échelle visuelle. S’agit-il d’un aboutissement. Deux ans plus tôt déjà, ses architectures intérieurs (Transmutations, Rabat, 2014), habillées de plastique translucides, respiraient cette même ambiance de paix et de sérénité. cette fois, Ghizlane s’attache à la construction organique, et ce point de départ sur lequel elle va construire sa vision du monde.

« L’alvéole est l’unité de mon travail. Il est constitué de déchets plastiques (Bouteilles, bouchons, tubes, CD…) totalement recouverts de soie. C’est l’atome qui compose la matière. C’est la cellule dont l’accumulation et la prolifération créent l’œuvre. (…) La répétition de ces alvéoles fait grandir l’œuvre d’une manière très organique. C’est presque vivant. », dira-t-elle plus tard. Les gens restent stupéfaits, comme ils le seraient devant un aquarium figurant les grands fonds de l’Océanie. La cathédrale corallienne est immense, elle appelle à l’immersion. Elle renvoie à ces navigations d’enfant, par-dessus l’immensité marine. Des corridors d’algues, des déplacements de poissons aéronefs, la magie absolue de l’infini étranger.

On peut évidemment se contenter de ce récit visuel, ô combien enivrant. Ce serait dommage ! Ghizlane Sahli va au-delà. Ce qui l’a intéressée n’est pas dans la figuration d’un monde parallèle, aussi magique soit-il, mais d’illustrer un principe universel de vie. Nous sommes tous nés de ces bouches qui les matrices originelles, dans la profondeur de la mer (mater) ou le ventre de celle-ci (mère). Nous sommes nous-mêmes la répétition organique, la multiplication cellulaire d’une combinaison de base. Nous sommes la caverne, l’alvéole, née d’une autre alvéole, et qui traverse ainsi le temps. C’est dans le corps de la femme, c’est dans le cœur de la montagne, dans ces masses de pierres compressées, dans ces liquides amniotiques et minéraux, c’est dans le creux, cette « fonction » féminine que l’artiste souligne au travers des ses titres : « Future is female » (2020), « La mer(e), origine du monde » (2021) ou encore une « Histoire de femmes » (2021), dessin textile et génital, reproduction à l’identique de cette volonté première, inscrite dans les tréfonds de la chair.

Genesis 006, technique mixte sur panneau de bois, 120 x 85 cm, 2017.

Personne n’avait jusqu’ici prêté un œil aussi attentif à ce que nous sommes, au-dedans de nous-mêmes. Imaginez une seconde… Vélasquez, penché sur le corps d’un mort (la leçon d’anatomie, 1632) et qui décide de figurer dans son tableau la beauté d’un poumon, la dentelle d’une tripe… De ce territoire, personne n’ose parler. Le ventre de la vie, l’origine première. Cette matière organique autant que spirituelle, dont nous sommes faits pour un moment encore.

« Pour moi, ces sculptures ou montages parlent du corps humain, de son essence débarrassée de toutes les scories que sont les acquis culturels, religieux, identitaires. » Ghizlane Sahli

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: DR et Ghizlane Sahli
www.ghizlanesahli.com/

Repères:
Née en 1973 à Meknès (Maroc). Vit et travaille à Marrakech (Maroc).
Après ses études d’architecture à Paris, Ghizlane rentre au Maroc et s’installe à Marrakech.
Elle commence alors son travail de broderie, avec des artisane locale, puis crée le collectif Zbel Manifesto qui travaille essentiellement avec des déchets.
Son travail actuel explore d’autres formes de tissages (fil de soie) et d’assoiciation au plastique (bouteilles).

Expositions individuelles:
2021: « LA MER(E), ORIGINE DU MONDE ». David Bloch Gallery. Marrakech(Maroc).
2019: « HISTOIRES DE TRIPES ». Sakhile&Me Gallery, Frankfurt (Allemagne).
     «RECENT WORKS». Primae Noctis Art Gallery, Lugano (Italie).
     « HISTOIRES DE TRIPES – Chapter II ». Sulger Buel Gallery, Londres (GB).
2018: « HISTOIRES DE TRIPES ». David Bloch Gallery, Marrakech.
2017: « GENESIS ». Institut français, Rabat (Maroc).
2016: « INCUBATION ». Riad Denise Masson, Institut français, Marrakech.

Collectives:
2021: « PRAXIS OF CHANGE ».Firetti contemporary Gallery, Dubai.
     « LA OU IL Y LA MER… ». CAC Passerelle.Brest (France).
     « LA CLAIRIERE D’EZA BOTO ». Rouen (France).
     « EXCEPTIONS D’AFRIQUE». Grand Palais. Paris (France)
2020: “MAISON DE FORCE”. Aeden gallery . Strasbourg (France).
     “WHEN THE GLOBE IS HOME”. Fondation Benetton . Trevise (Italie).
      Group show. MO.CA gallery Africa Now. Brescia (Italie).
     “THE FUTUR IS FEMALE”. Sulger Buel Gallery. Londres.
     « ACCROCHAGE ». Sakhile&Me Gallery. Frankfort (Allemagne).
2019: Group show. MO.CA Musée Africa Now. Brescia.
     Group show. David Bloch Gallery. Marrakech.
     « QUINTESSENSE ». Not a Gallery. Paris.
2018: « L’OR » MUCEM. Marseille (France)
     « SECOND LIFE ». Macaal Musée, Marrakech.
     THE BLACK SPHINX. Primo Marella Gallery, Milan (Italie).
     Installation In Situ with Zbel manifesto. Fondation Jakober. Palma de Mallorca (Espagne).
2017: Group show. David Bloch Gallery, Marrakech.
     « INCUBATION » Institut Français, Rabat.
2016: Group show. David Bloch Gallery, Marrakech.
     « THE OTHERS ». Kech Collective, Turin (Italie)
     « WACE PROJECT ». Cop 22. Marrakech
     Group show. Galerie Noir et Blanc. Marrakech
     « ARKANE ». Anciens abattoirs de Casablanca, Casablanca (Maroc).
     « INCUBATION ». Institut Français. Riad Denise Masson. Marrakech
2015: « FEMMES ET RELIGIONS ». l’Uzine. Casablanca
     « LUMIERES ». Fondation Tazi. Casablanca
     « METAMORPHOSE ». Féminin Pluriel. Dar Bellarj, Marrakech.
2014: « TRANSMUTATION ». Zbel Manifesto. Musée Mohamed VI, Rabat. (Maroc)

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