Biennale de Dakar / La Meute / Oumar Ball /RENDUS A LA DESOLATION

C’est un matin d’harmattan. Le ciel est pareil à une tôle percée. Le vent souffle au travers et fait grincer la terre. Les hommes sont fous, rendus féroces comme des bêtes. Sur la piste, les moteurs des 4×4 hurlent, mitrailleuses chargées, cadavres abandonnés au fond des puits. Oumar Ball expose à Dakar « la Meute », ce mois de juin, et le sentiment de la catastrophe l’habite tout entier. « Montrer ce que nous sommes, afficher la folie de l’humain, oui, parce que nous sommes faits de cette façon, que nous en avons conscience, mais que nous irons jusqu’au bout de la destruction. »

Présentée à la Biennale de Dakar, la sculpture a violemment frappé les esprits. Oumar Ball s’est attaché à rendre cette férocité permanente. Les gueules sont ouvertes, dans des rictus d’une absolue férocité, écumantes de rage, dans une tension qui inspire au public une véritable peur. « C’est un sentiment que je n’ai pas cherché à inspirer, mais il est là, et c’est tout de même révélateur, que des enfants et des adultes, soient mal à l’aise, qu’ils ressentent cette violence, que même les animaux ne leur inspirent pas. » La Meute s’inscrit dans la continuité de « Chimères » (*), présenté à la BISO (Ouagadougou) où un fauve et un vautour s’affrontaient. Déjà le combat était terminal. Une lutte à mort, sur un arbre décharné, une dépouille de métal, deux fauves dont aucun ne survivra, engloutis par leur propre chute.

La folie de l’homme que rien ne peut apaiser, la mise en scène de sa propre disparition…

« La Meute » va plus loin encore et les connexions qu’elle nourrit illustrent parfaitement son propos. Hyènes ou chiens, elle est d’une violence profondément inscrite dans les imaginaires. Mary Sibande (Afrique du sud) vient d’en présenter cet hiver une figuration au travers de son installation au MAC (Musée d’art contemporain) de Lyon. Ça s’appelle « le Ventriloque rouge » et elle met en scène des molosses rouges, lancés sur une proie invisible. Œuvre politique dans une « nation arc-en-ciel » libérée de l’Apartheid, mais en proie aux mêmes problèmes d’exclusion et de privilèges.

Oumar Ball a longtemps regardé ce travail, pour son engagement. De la même façon, il s’est souvenu de l’utilisation faite des chiens dans la répression des mouvements noirs en Amérique. « Dressés pour tuer », comme l’écrivait Romain Gary, avant que Samuel Fuller en fasse un film. Des chiens, la gueule ouverte, des policiers qui les jettent sur des manifestants. La meute est contenue dans nombre d’évènements. C’est un « tableau » classique qui dit notre pouvoir d’anéantissement, notre volonté d’éradication… contre nous-mêmes. « Cette chose m’intéresse, et les prochains travaux vont aller dans ce sens : nous travaillons à notre propre destruction, nous en avons conscience et nous poursuivons. »

La créature est condamnée. Et le hurlement de sa meute court dans l’immensité .

Pendant plusieurs mois, Oumar a vécu dans cette proximité du hurlement. Le travail est difficile. En choisissant le métal, la soudure, le tressage du fer, le sculpteur amplifie encore ce mouvement implacable. Aucune rémission n’est possible. Aucune pitié n’est envisageable. Contre la sculpture, on ne peut que se blesser. Et une fois encore le sang coule, les gorges se dessèchent, le feu du chalumeau s’imprime au plus profond. C’est un matin glaciel et brûlant, jailli des entrailles de l’homme. La créature est condamnée. Et le hurlement de sa meute court dans l’immensité.

« Montrer ce que nous sommes, afficher la folie de l’humain, oui, parce que nous sommes faits de cette façon, que nous en avons conscience, mais que nous irons jusqu’au bout de la destruction. » Oumar Ball

A lire aussi: https://zoes.fr/2021/10/28/mauritanie-biso-2021-sculptures-oumar-ball/
(*) « Chimère » a obtenu le premier de la Biennale de Ouagadougou 2021.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : DR et Béchir Malum

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