Une pâleur envahit la toile, comme le soleil au travers d’une brume. Engagé sur ce chemin de l’abstraction, il y a presque vingt ans, Aziz Azrhai touche une sorte de but. Ce brouillard ressemble à celui qui couvre la mer. Deux immensités contiguës, deux horizons qui appartiennent à un même silence. Jamais la couleur n’a été aussi paisible, comme la découverte d’un labyrinthe, sans mur et sans miroir.
Une quinzaine d’années plus tôt, son abstraction était déjà en place. Disons que Aziz Azrhai ne prononçait pas les mots de la même façon. A cette époque, pèsent des ciels pourpres et des terres teintées d’orage. Une façon de dire que la peinture était dans le bouleversement. Aucun raccourci hâtif quant à la signification de ce chaos, qui n’en est pas un d’ailleurs. Dans la confrontation des couleurs et des blocs, l’écriture s’est mise en place. Plus près encore, en 2017, ses petits formats (20×15) sur papier reflètent la « violence » du vocabulaire. Crayonnage au fusain ou pastel gras, remplissage d’un vase rouge dans une pénombre de plomb. Il n’empêche que tout est là. La couleur en masse mouvante, par le fond et la forme, et cette intrusion de l’écrit, qui n’est jamais un hasard, et que l’on peut rattacher à un autre motif que celui de l’arabesque. Aziz a commencé de partager son temps entre la peinture et la poésie. Le tableau vit également dans cette intersection.

Et puis vient le blanc. Les tableaux de 2021 et 2022 ont fait le choix du silence. Au propre, comme au figuré. Quand on lui demande un début d’explication sur ce voile qui recouvre, Aziz Azrhai parle d’une époque où « on ne se retrouve plus dans le bavardage de l’art. On devient convaincu, de plus en plus, par la simplicité. La palette de couleurs et les mots commencent à être directs et légers. » ce qui explique pour partie ce choix de la pâleur, et qui n’est pas sans rappeler le choix opéré par Abdellah El Haitout. Même s’ils ne sont pas issus du même moment, ils jouent sur la toile une volonté similaire, de laisser apparaître, plus que d’imposer.
Cette ligne est pareille à un joint entre deux pierres. Hier, c’était la terre et le ciel, et dans la conjugaison, de puissantes décharges électriques. Aujourd’hui, la rencontre se fait sans bruit.
S’il fallait trouver une image, l’une serait celle du brouillard, au-travers de laquelle la peinture d’Aziz Azrhai apparait, comme le ferait un navire ou une côte. Dans cette vapeur, tout est possible, soudain et d’une importance qui demeure incertaine. Paradoxe. C’est une évidence sortie du silence, comme une note, à une seconde qui déjà n’existe plus. Cette part de mélancolie s’est imposée au fil du travail, et elle appellait l’usage d’une couleur particulière. On l’utilise en général sur les vitrines des commerces en liquidation. Le blanc de Meudon masque l’intérieur du local, dans une opacité translucide. De cette manière, le peintre marocain dérobe un arrière-plan, au fond duquel on devine un visage, le portrait ancien d’un homme, un vase posé sur une table.


Juste cette couche, la dernière, qui est le blanc, et dont on pourrait dire qu’elle est un sédiment de lumière, posé sur une géologie ancienne. Aziz Azrhai n’emploie pas de la poudre de marbre par hasard, qui donne à la toile la rigueur du temps arrêté. Mélange fragmenté, compressé, dans les strates successives, puis qui viennent au jour, soulevé par la volonté silencieuse. Souvent, la toile est partagée en deux, au centre du carré par une médiane. Là encore, le peintre structurait ainsi son travail les années d’avant. On regarde, et cette ligne est pareille à un joint entre deux pierres. Hier, c’était la terre et le ciel, et dans la conjugaison, de puissantes décharges électriques. Aujourd’hui, cette rencontre se fait sans bruit. C’est une hypothèse, mais il vient à l’esprit que la peinture pose désormais dans la lumière et qu’elle met le doute, le dédoublement, l’inutilité du bruit à l’extérieur de la toile. Le monochrome appelle une forme de réconciliation.
« On ne se retrouve plus dans ce bavardage de l’art. On devient convaincu, de plus en plus, par la simplicité. La palette de couleurs et les mots commencent à être directs et légers. » Aziz Azrhai
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Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: Aziz Azrhai
Repères:
Aziz Azrhai est né en 1965 à Casablanca. Il est détenteur d’un Master en Littérature et Critique comparée, et d’un doctorat en Littérature et Arts Méditerranéens.
Durant ces mêmes années, il a également enseigné au Centre régional des Métiers de l’Education et la Formation (CRMEF) et comme professeur collaborateur au Master « Sémiologie du discours et l’image » de la faculté Mohammed V à Rabat.
Depuis
Expositions individuelles:
2019: Institut français de Fès.
2017: Galerie Branes, Rabat (Maroc).
Institut français de Kenitra (Maroc)
Bibliothèque National, Rabat.
Administration des Douanes et impôts indirects, Rabat.
2011: Galerie l’Essentielle, Rabat.
Médiathèque de Fès (Maroc).
2010: Galerie Mohamed El Fassi, Ministère de la Culture, Rabat.
2009: Dar Cherifa, Marrakech (Maroc).
Carrefour des Arts, Place aux Artistes, 1ére édition / Mahaj Ryad, Rabat.
2008: La Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG), Rabat.
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