Un homme face à une porte. Quelle que soit la façon de voir la scène, c’est un moment qui marque la séparation. En 2017, alors que Jeannot Bruce est au cœur de ce travail, son ami et photographe, Mahtar Licka, écrivait : « Au moment où des murs sont érigés à travers le monde. Où des grilles anti-immigration s’étalent sur des kilomètres de frontières en Europe, Jeannot Bruce nous offre ses portes en zinc. » Offrir, c’est-à-dire en ouvrir la compréhension. Le projet était impressionnant. Il ne s’agissait pas d’une porte unique, mais de trois cents, traversées par des silhouettes, et qui montraient quelle importance sociale cette conscience doit revêtir. Trois cents portes, pour des milliers, des centaines de milliers de femmes et d’hommes qui sont dans ce franchissement obligés.
Trois ans ont passé et Jeannot Bruce poursuit sa quête du sens, et plus précisément, d’un art à vocation d’humanité. Le plasticien de Mbour place l’art dans une perspective d’apaisement et de compréhension mutuelle. La porte doit être une chance. Elle ne peut s’ouvrir sur un gouffre. D’avoir choisi le bois de pirogue pour la construction de ses œuvres n’est pas anodin. De cette façon, le sculpteur remet en perspective ce drame quotidien de la migration forcée. Les œuvres exposées au musée des Piétons (Dak’art 2022) vont dans ce sens. Dans des carrés de bois, des visages, un grand nombre, qui regardent dans une même direction, un même rivage. Ils sont tracés d’un trait identique, et tous différents, tous singuliers. Dans ce regard, on retrouve celui des soldats d’Alioune Diagne, les sacrifiés du camp de Thiaroye.


Il y a plus de vingt ans, Jeannot Bruce ouvrait la Résidence Tripano. Avec une obstination tranquille, il a mis sur pied des dizaines d’ateliers, de workshops, de rencontres autour des arts visuels… Plusieurs programmations Off de la biennale « Dak’Art » ont été organisées ici. Le lieu est paisible, très éloigné du vacarme de la capitale. Les installations sont sommaires, mais suffisantes à la réflexion finalement. Au hasard de la promenade, dans l’ombre des arbres, des tôles s’entassent et s’oxydent lentement. Un jour, elles rejoindront l’atelier. Cette rouille que l’air du large nourrit au quotidien participe à une perception temporelle, qui touche aussi bien l’humain que la matière. Recyclage est un mot assez vague, et malhabile.
Depuis presque trente années, cette mutation l’intéresse. Un jour, la tôle se réincarne. Dans son langage plasticien, Jeannot Bruce propose un autre fonctionnement. Au corps que l’histoire maltraite, aux enfants de l’exil, à cette Terre en souffrance, d’autres scénarios sont possibles. L’alternative. Sculptures de ce type, au déroulement aléatoire et apaisant.
‘’Dans l’art, il y a la sensibilité. Les gens dont la connaissance somnole, on doit les réveiller. On n’est pas pauvre. On peut être pauvre dans les poches, mais pas dans la tête.‘’ Jeannot Bruce

Plusieurs œuvres de Jeannot Bruce sont visibles au Musée des Piétons, exposition collective, Dakar Off 2022, à partir du 28 mai.
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: Jeannot Bruce
Contact Artiste: https://www.facebook.com/jeannot.bruce.9
Repères
Jean Marie Bruce dit Jeannot Bruce est né en 1965 à Mbour (Sénégal). Il a suivi la formation de l’École Nationale des Arts de Dakar (1988 à 1992). Depuis, Jean-Marie Bruce travaille dans son atelier mbourois à l’Espace ART TRIPANO.
Il est également membre fondateur du Collectif sénégalais « Huit Facettes-Interaction » avec les artistes Kan-Si, Fodé Camara, El Sy, Serigne Mbaye Camara, Moustafa Dimé, Abdoulaye Ndoye et Cheikh Niass. Ce groupe a été sélectionné en 2002 pour la Documenta 11 de Kassel (Allemagne).
Collections
Les sculptures de Jeannot Bruce ont été acquises par :
Collection Thomas Cazenave, Makhete Wade, Galerie Richard Cousinard, Abib Djenne (architecte) et Jean-Claude Mimran (industriel).
A l’international, ses œuvres figurent dans des collections comme celle de la Fondation Blachère (France), de la collection Clinton (États-Unis), de la Nomad Gallery de W. de Weerdt (Bruxelles).
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