En 2007, Francis Mampuya participe à une série d’entretiens sur la place de l’art africain en Europe. Lui-même est Congolais et son intérêt se porte plus précisément sur le musée de Tervuren. Dans ce lieu, l’histoire coloniale a rassemblé la production artistique comme elle le ferait d’une civilisation disparue. Ce qui remet en mémoire le film de Chris Marker et Alain Resnais, « les statues meurent aussi » (1950-1953) où ces derniers s’interrogent également sur la place de l’art « premier », comme si l’Afrique était simplement une mémoire ancienne de l’Occident. Avec ce type de muséographie, nous découvrons alors une culture engloutie, morte, classifiée. de la même façon que les plantes ou les animaux de la préhistoire, les artefacts se retrouvent dans une dépendance du musée d’histoire naturelle.

Francis Mampuya n’est jamais dupe de cette manipulation. Kristin Rogghe et Matthias De Groof en collaboration avec le collectif congolais Mungongo Ya Sika posent des questions précises sur cette récupération politique. L’Occident est dépositaire de la modernité. Le reste appartient à une histoire dépassée. Il faut en conserver la trace, parce qu’elle renseigne sur l’Occident, d’une certaine façon. Elle le renvoie à son histoire. L’Afrique devient une partie de l’histoire occidentale, sous l’éclairage édifiant de Tervuren. Francis Mampuya pose exactement le doigt à cet endroit. Le film s’appelle « Après Tervuren », parce que le musée est en train de revoir sa manière de présenter ses vitrines. Le peintre s’interroge en souriant :Tervuren aurait-il la volonté de changer son regard et de remettre l’Afrique dans une narration différente ?
« Tervuren continue sa mission. Les œuvres modernes, contemporaines, après 2000-3000 ans, ça va constituer un autre musée moderne (…). On continue de prendre les œuvres, tout ça est organisé derrière, avec des petits projets, les ateliers, derrière quelques conférences. «
Le retour des œuvres au Bénin est une illustration chargée de sens. Que deviennent les œuvres, dans des lieux qui ont pour modèle des espaces étrangers, une conservation et un muséographie étrangères, propulsés dans un télescopage de temps et de fonctions, qui ne partagent pas la même langue. « Les spectateurs peuvent désormais apprécier les propriétés formelles de ces objets, être attentifs à leurs textures et leurs formes […] et même voir comment ils préfigurent et correspondent à des exemples de la sculpture et du design européens modernistes. Mais sont-ils pour autant rendus vivants ? », interroge un chercheur allemand dans le film de Marker.
En 2007, Francis Mampuyo dit : « Tervuren, ça continue. A exploiter toujours les œuvres jusqu’à ce jour… Tervuren continue sa mission. Les œuvres modernes, contemporaines, après 2000-3000 ans, ça va constituer un autre musée moderne (…). On continue de prendre les œuvres, tout ça est organisé derrière, avec des petits projets, les ateliers, derrière quelques conférences. » La fin de l’entretien est terrifiante. C’est comme dans un laboratoire, dit-il, tout est classé, tout est mis en « perspective », et au final : « c’est comme si on nous voyait à travers une glace. »
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« Tervuren invisible », entretien avec Francis Mapuya, de Kristin Rogghe, Matthias De Groof et le collectif congolais Mungongo.
https://boasblogs.org/dcntr/tervuren-invisible/
En parallèle, Matthias De Groof a réalisé Trois films sur le musée de l’Afrique (Palimpseste, Lobi Kuna et
Diorama).
Trois films sur le Musée de l’Afrique : PALIMPSEST, LOBI KUNA et DIORAMA | BUALA
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: DR et Francis Mampuya, by courtesy Galerie Angalia.
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