C’était une sorte de gageure pour l’Ouganda d’être présent à Venise. La Biennale n’est pas d’un accès facile, et de plus l’art ne jouit d’aucune considération dans la sphère politique du pays. Pourtant l’écrivain et artiste Shaheen Merali a réussi avec Acaye Kerunen et Collin Sekajugo ce « pari ». Au point d’être distingué par l’organisation, début mai. Pour cela, Merali devait mettre en place une « stratégie ». C’est en ces termes que l’on peut formuler la présence d’un pays du sud qui s’engage dans une « compétition », puisque la Biennale apparait également comme telle. Opposition des cultures, remise en question des hégémonies, affirmation identitaire sont des concepts forts… et les artistes ont développé leur projet en conséquence.
Présenté au Palazzo Palumbo Fossati, leur travail commun, sous la forme d’une installation, s’appuie sur les matériaux traditionnels de l’Ouganda. « Les matériaux que j’utilise sont fusionnés avec des objets d’origine locale en lien avec la maison. Je veux que les matériaux autochtones définissent la composition de mes espaces créatifs et que le résultat final représente l’Afrique ou l’Afrique inconnue, » explique Collin Sekajugo. Dans sa proximité, Acaye Kerunen pose cette autre question essentielle, à savoir l’opposition que l’Occident marque entre l’artisanat et l’art. Cette partition des genres nourrit son travail qui recourt continuellement aux tissages que les femmes perpétuent. « Je raconte des histoires sur les femmes, sur la communauté, sur l’agriculture, sur le changement climatique« , et par ce moyen, d’ancrer ces gestes traditionnels dans le devenir quotidien et le devenir créatif de la communauté. Les deux sont inséparables.


Dans ses propos, Shaheen Merali parle d’ « une grammaire de l’esthétique ougandaise », qu’il présente comme une « option dé-coloniale », bien plus qu’une opposition binaire entre l’art et l’artisanat, mais de la charge que l’objet recèle, de son inscription dans un paysage à des moments différents de l’histoire. Le sisal (agave tressée) ou la fibre de banane séchée en sont un bon exemple. Leur origine, leur usage, leur valeur, rien ne peut en faire un matériau remarquable, et pourtant si ! La modernité est là, dans une redistribution du rôle et de la question posée à notre sensibilité, comme à nos préjugés.
Au final, ce Pavillon ougandais à été doublement remarqué. Sa présence inédite n’est pas le plus importante et la récompense qu’il obtient dans la « compétition » est accessoire. Ce qui l’est moins, c’est l’évidence confirmée d’autres langages possibles, d’autres occupations esthétiques et d’un sens (circulation) de l’art réinventé.
« Les matériaux que j’utilise sont fusionnés avec des objets d’origine locale en lien avec la maison. Je veux que les matériaux autochtones définissent la composition de mes espaces créatifs et que le résultat final représente l’Afrique ou l’Afrique inconnue, » Collin Sekajugo.
RC (ZO mag’)
Photo: DR et Radiance – They Dream in Time
| de Venise Ugandapavilion.org | Venezia
J’aime beaucoup cette »non-frontière » entre art et artisanat. Osons, osez !
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Oui Christine, c’est qq chose qui n’existe pas en Europe. Si nous allons dans lle sens d’un renouvellement des formes et des murs porteurs, on oublie d’autres choses, la fabrication. Elle est pourtant… comme vous dites!
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