Quelques instants avant sa mutation, le dessin suggère encore le possible. Il s’agit d’un temps durant lequel les choses se construisent. La peinture vient par la suite. Nous sommes au commencement. Geneviève Seillé le dit à sa façon, dans la profusion des écritures. Elle note, elle rajoute, elle monticule et retranche, ce qui participera au sentiment de peinture. C’est un dessin, et c’est juste avant.
La gestation est souterraine, parait-il. Ça se discute. La gestation picturale commence dans une caverne. Aux murs sombres de l’interne, elle pose sa lumière. Geneviève Seillé a regardé les grottes ornées du sud-ouest, dans leur profusion de signes, première tentative de clarté. Tout est là, et la joie, et le bestiaire, et la cavalcade des oiseaux libres. Ce qu’elle rajoute, c’est la lettre, c’est la beauté de l’écrit, comme une partition, les éléments sonores du langage, inscrits par le charbon de bois et l’ocre du limon. Ecrire, c’est encore préparer ce que la peinture sera, c’est d’en faire la liste, rajouter, raisonner, multiplier par jeu et soustraire pour l’essentiel. Et il en ressort ce travail, sur lequel d’autres vont dire, et écrire, parce qu’elle demeure silencieuse, retranchée dans la grotte première, où elle taille un crayon de bois et d’encre.

De la retrouver aujourd’hui aux côtés de Laura Labri Laborie, à l’Espace Lally, tient d’une belle idée. Toutes les deux regardent à l’intérieur. Elles poussent des portes et remontent à un temps oublié. A ce moment-là, les corps se transforment encore. Ils sont dans l’intervalle nécessaire, ils participent de la mutation. Geneviève a écrit ces quelques mots, et ils sont rares (si l’on exclut ceux qui habitent ses dessins) : « Nous mènerons dans un monde où les corps humains peuvent devenir des oiseaux, ou des poissons, ou même des monstres à membrures improbables ». Tout est là, prévisible ou souhaitable, d’échapper encore à ce qui est, mais qui demeure également aléatoire. Les Aborigènes, auxquels elle s’intéresse, et les Indiens du Mexique, quelques peintres iraniens aussi, à l’image de Samaneh Atef, conduisent ici leurs crayons. Des mots, des ventres grouillants de vocables polyphoniques : le monde à un moment, la gestation qui arrive à son terme.
“Je me souviens de mon premier corps. C’était une petite danseuse, une image de rêve que j’admirais souvent dans le dictionnaire. J’avais onze ans.” Geneviève Seillé

Ossatures, du 15 avril au 15 juin 2022, Laura Labri Laborie et Geneviève Seillé, Espace Lally (Béziers).
https://www.espacelally.com/exhibitions/
RC (ZO mg’)
Photos: DR, © G. Seillé et by courtesy Espace Lally

Repères :
Geneviève Seillé est née en 1951 en France. Dans les années 1970, elle étudie les Beaux-Arts à la Wolverhampton Polytechnic (Angleterre) où elle vit pendant 20 ans. Dans les années 80, elle dirige de nombreux ateliers pour adultes et enfants. En 1993, elle abandonne le travail d’éducation artistique pour se concentrer sur sa propre pratique.
Elle vit et travaille aujourd’hui dans le Sud-Ouest de la France.
Expositions (sélection) :
2018 : Galerie Blandine Roques, Montauban (France)
2017 : Galerie Corcia, Paris (France).
2014 : Les Mots Perdus, Médiathèque de Lescure (09, France)
2013 : Selected Work, England & Co, London (GB).
2012 : Le Corps Sait, Médiathèque Gaston Massat, St. Girons (09, France).
2011 : Les Grands Tatoués, Galerie Bonnière, St. Girons.
2010 : Rêves Biomorphiques, Ombres Blanches, Toulouse (31, France)
2007 : Livre-objets / peintures, Bibliothèque Gaston Massat, St. Girons.
1997 : Escape from Chaos‚ Luise Ross Gallery, New York, USA.
1993 : Drawings and Constructions, Janet Fleisher Gallery, Philadelphia, USA.
Peintures – Livres Objets, Intervalle, Saint Lizier (09, France).
1992 : Geneviève Seillé: Recent Work, England & C°, London (GB).
1989 : Eagle Works Gallery, Wolverhampton (GB).
Collections :
National Art Library, Victoria & Albert Museum, Londres (GB).
Ruth and Marvin Sackner, Floride (USA).
MacArthur Foundation (USA).
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