Quand il découvre une terre, l’explorateur s’accompagne toujours d’un cartographe. C’est une habitude, ils naviguent et chevauchent ensemble. Les cartes annoncent les empires à venir et l’exploitation méticuleuse qu’il en résulte. Sans doute que Saïd Afifi se souvient de ces explorations millénaires. Notre temps n’y échappe pas. Son crayon est informatique, ses ponts satellitaires et le plan qu’il en résulte est autant imaginaire que réel. Il suffit d’un bug, ou d’une volonté politique pour brouiller l’image.
Il y a quelques semaines, le plasticien présentait ses « Constellations de la Terre », à Casablanca (Atelier 21). Des grands (très) figurant des lieux, issus d’un autre lieu, d’un autre déplacement. La poésie n’est pas un exercice innocent. Il est fort possible que Saïd Afifi dresse ainsi la cartographie d’un lieu en gestation, d’une planète future dont nos écrans suivront en direct la création. De la même manière que les satellites nous donnent à voir le monde (Google map), en recomposant ces paysages de façon mathématique, le plasticien redessine un monde. Il fait jaillir des montagnes inhumaines, teintées de couleurs sidérales, où nous n’avons pas encore posé le pied.

Lors de cette exposition, plusieurs visiteurs ont évoqué l’existence actuelle des grottes dupliquées, lieux paléolithiques d’une valeur inestimable (Lascaux, Cosquer…). En vue de les préserver, les archéologues réalisent alors des répliques au laser. Le résultat est au centième de millimètre l’exacte reflet de l’original. Ici, c’est un peu près la même chose. Le tableau (il s’agit de technique mixte, associant l’image informatique, le dessin, la peinture) projette ce monde du rêve qui viendra. Virtualité en devenir, monde parallèle (exogène), visible de quelques voyageurs seulement, et dont les premières images arrivaient à Casablanca.

Dans la perspective de ces images rapportées d’ailleurs, Olivier Rachet écrit : « Afifi (…) fait accéder à la vision un monde qui n’existe peut-être pas encore. » Et l’artiste de dire à son tour : « On ne sait plus à quel moment le réel est réel et si une immersion dans le paysage est encore possible ». Face à cette éventualité peu réjouissante, il est temps d’inventer une marge dans laquelle l’écriture reste possible. L’écriture, la couleur, le son, la carte imaginaire, sur laquelle le doigt de l’enfant se promène et où il n’existe finalement aucune possibilité de destruction. Utopie du paysage, constellations terriennes.
Les Constellations de la Terre, février/3 mars 2022, Atelier 21, Casablanca.
https://www.latelier21.ma/les-constellations-de-la-terre-said-afifi/
RC (ZO mag’)
Photos: DR et © S. Afifi, by courtesy Atelier 21
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Repères:
Saïd Afifi est né en 1983, à Casablanca (Maroc). Lauréat de l’Institut des Beaux-arts de Tétouan en 2008, il intègre le Studio national des arts contemporains, au Fresnoy, de 2016 à 2018.
Professeur à l’Ecole Supérieur des Arts Visuels de Marrakech et à l’Institut National des Beaux-Arts de Tétouan, Saïd Afifi travaille entre le Maroc et la France.
Expositions:
2021: Les constellations de la Terre, Atelier 21, Casablanca (Maroc)2019: Biennale de Rabat (Maroc)
Beirut Art Fair (Liban)
2017 et 2018: « Etymologie » et « Yemaya », expositions Panorama 19 et Panorama 20 du Fresnoy (France).
2015: Le Maroc contemporain, à l’Institut du monde arabe de Paris (France)
2013: Festival Vidéoformes, à Clermont-Ferrand (France).
2010: Biennale des jeunes créateurs d’Europe et de la Méditerranée, Skopje (Macédoine).
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