Trois mille ans avant notre ère… est-il possible d’imaginer une contre-culture ? Dans un paysage qui oppose en permanence les peuples, où le fonctionnement se construit sur le commerce et la guerre, y aurait-il une alternative ?
Cinq millénaires plus tard, la question se pose dans les mêmes termes et Aïcha Snoussi a une idée sur tout ça. Selon la plasticienne, la récente découverte de Zembra n’est pas anodine. Les archéologues ont révélé au large de cette île, dans la baie de Tunis, l’existence de vestiges révélateurs. Les habitants de l’île, appelés tchechs, pratiquaient la poésie, la gravure, et l’amour libre. Libre. C’est-à-dire qu’aucune entrave de genre ne venait empêcher leurs unions.

« Underwater », l’œuvre réalisée, est une mise en scène de ces pièces retrouvées. Différents éléments de terre cuite, des parchemins, des gravures sur os, confirment la richesse du site, la pluralité des sensibilités et pourrait donc servir de manifeste queer à celles et ceux qui luttent contre l’exclusion. Sur cette île, s’est développée une société harmonieuse et d’une grande richesse culturelle. Evidemment, peu d’éclairage ont été portés sur la découverte. Jusqu’à ce travail plasticien… Aïcha Snoussi disposant d’un nombre important de pièces, dresse une sorte d’inventaire raisonné. De la même manière que les pyramides ont révélé le quotidien de la vallée du Nil, elle donne à voir cette profusion alternative.
Elle traverse les siècles, subliminale et lumineuse. Les corps ne sont plus mais la musique demeure.
L’une des vitrines les plus remarquables tient dans le grand nombre de pots qui renferment les lettres des couples séparés. La tradition était de confier à la mer cette correspondance. Les chercheurs se sont beaucoup interrogés sur le sens de ce legs. L’évidence première est celle de la « bouteille à la mer », et de la confiance dans le hasard. Cinq mille ans ont passé et Aïcha Snoussi leur donne enfin un écho. La langue amoureuse ne s’est pas perdue. Elle traverse les siècles, subliminale et lumineuse. Les corps ne sont plus mais la musique demeure.

Pendant deux mois, le fruit de ce travail est visible au palais de Tokyo. Evidemment tout ça est fictif. La civilisation de Zembra est une invention de l’artiste. Avec la dotation de 20 000 euros du Prix SAM, elle a pu concrétiser ce projet, totalement inscrit dans sa sensibilité et son engagement LGTB. Fictif donc, mais quelle importance ? Nous avons besoin de croire au matin du second tour (ah bon ?) que l’espoir est encore permis.
« Il y a une certaine sacralité autour de l’œuvre d’art et de l’artiste que je souhaite mettre à mal. C’est dans cette optique aussi que j’envisage de plus en plus un travail hors des lieux d’expositions, dans l’espace public, où il n’y a pas de piédestal entre l’œuvre et l’anonyme qui y pose son empreinte.» Aïcha Snoussi
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« NOUS ÉTIONS MILLE SOUS LA TABLE », Aïcha Snoussi, Palais de Tokyo, du 15 avril au 4 septembre 2022.
Aïcha Snoussi – Palais de Tokyo
Roger Calmé (ZO mag’)
Photo: DR et Cosmogonies MOCO 2021 © Marc Domage
Repères:
Aïcha Snoussi est née en 1989 à Tunis. Elle effectue ses études universitaires à l’Institut supérieur des beaux-arts de Tunis. Par la suite, elle obtient un master en beaux-arts à l’université de Paris-Sorbonne. Elle vit et travaille aujourd’hui en France.
En 2020, Aïcha Snoussi a reçu le Prix SAM, pour son projet « Underwater ».
Le Palais de Tokyo lui propose cette exposition pour restitution, en collaboration avec Zinsou et la galerie La La Lande.
Sélection d’expositions
2013 : Galerie Yahia, Tunis (Tunisie)
Jazz à Carthage, Tunis.
2015 : Cité internationale des arts, Paris.
2016 : Plateforme Parallèle, Tunis.
Peinture murale, ambassade de Tunisie, Londres.
2017 : Somerset House (Londres (GB).
Le Livre des anomalies, Art Paris (foire), Paris.
2018 : Art Brussels, Bruxelles (Belgique).
2019 : Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, Galerie La La Lande, Paris.
Comme Nous Brûlons, Paris.
B7L9, La Marsa (Tunisie).
2020 : Investec Cape Town Art Fair, Le Cap (Afrique du sud).
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