Maroc / Ateliers / Rachid Rafik / MOBILE COMME LE VENT ET LA COULEUR

Même si l’image de l’atelier reste liée à l’espace, la lumière et la mise à disposition des outils, elle s’enrichit ensuite d’autres qualités. Ce lieu de création peut revêtir de nombreux aspects. Une table devient atelier, un lit, un espace ouvert et non bâti, de même. L’atelier est autant un lieu de l’esprit qu’une pièce formelle.

Jusqu’en mars 2020, Rachid Rafik a eu une définition plutôt conventionnelle de cet endroit. Il le définit comme un lieu de « bien-être », « où (il) a ses marques, son « bordel » de couleurs, de papiers, et même, jusqu’à la fin de mes études (beaux-arts), assez fermé, et plutôt personnel. » Ce n’est qu’à la fin de ses études qu’il l’ouvre à des collègues, des amis, et en fait aussi un lieu d’échanges. Dans cette pièce, il place ensuite quelques éléments, à l’image de son canapé. « Je travaille, dit-il, et ensuite je me pose dans le fauteuil, je réfléchis, je regarde ce que je viens de faire, j’écoute la musique. Et puis il y a le mur, sur lequel j’accroche les toiles. » Des éléments bien ordonnés, dans le désordre et le mouvement qui conviennent à l’acte de peindre.

En mars 2020 donc, il est en France au terme d’une série de résidences et il s’apprête à rentrer au Maroc. Le 14 précisément, il est sur le point de prendre l’avion, quand il apprend que les frontières viennent d’être fermées. Il se souvient d’être resté sans réaction. « Je ne pensais pas à la peinture, je ne pensais à rien. Pendant deux jours, je suis resté assis, incapable de faire quoi que ce soit. Et puis le troisième jour, sans savoir vraiment pourquoi, j’ai pris des pinceaux, et c’était comme de réfléchir, de poser les choses à plat. J’étais dans un garage, dans les Vosges, il y avait deux fauteuils, un mur. C’est tout. Pour les couleurs, j’en avais très peu. Les conditions autour étaient très particulières. Il était interdit de sortir et d’approcher d’autres personnes. J’avais donc juste un peu de papier, des fusains, presque pas de peinture. » Il lui faudra une quinzaine de jours, « pour sentir que c’était un atelier qui commençait. »

Oser des choses qui ne semblaient pas possibles.
Pour ça, il lui faut déjà s’inventer des matériaux. C’est-à-dire fabriquer des couleurs, à partir des choses autour de lui, de la cendre, du café, du cirage… En somme de réinventer ce qui pouvait l’être. Des draps lui fournissent de la toile. Des cartons et des papiers journaux lui permettent d’alterner les surfaces. « Je me rends alors compte, que cette pauvreté des moyens me rend beaucoup plus réceptif. Je vais vers des mélanges que j’ignorais. Comme ce vert sublime, avec du blanc d’Espagne et qui tend vers le jaune. Un couvre-lit fleuri me donne un fond comme je n’en ai jamais utilisé. J’ose en fait des choses que je ne pensais pas possibles. » Il dira plus tard que cette explosion de la couleur lui a appris « un autre langage ».

Une recouvrance de territoire, lui qui est d’origine saharienne, d’accompagner sa couleur dans le déplacement et de ne plus arrêter le mouvement.

Pendant les six mois qu’a duré cet atelier de Riquewihr, il se rend également compte de la place nouvelle qu’il occupe, dans ce village. Les locaux ont commencé à éprouver de la curiosité pour lui. Contrairement au Maroc, où les voisins venaient le voir, « ce n’était habituel ici. Cette fois les gens frappent à la porte, posent des questions, s’intéressent à ce qu’ils découvrent être un travail. » Le confinement sanitaire explose les repères et les disposent à regarder. Un journal alsacien en fait un « fils du pays, qui a désormais sa maison ici. »

« Je me rends alors compte, que cette pauvreté des moyens me rend beaucoup plus réceptif. Je vais vers des mélanges que j’ignorais. Comme ce vert sublime, avec du blanc d’Espagne et qui tend vers le jaune. Un couvre-lit fleuri me donne un fond comme je n’en ai jamais utilisé. J’ose en fait des choses que je ne pensais pas possibles. » Rachid Rafik

L’expérience aura donc duré six mois, avant que le peintre berbère revienne à Marrakech. Et cette fois, c’est exactement le contraire qui se passe. Son atelier le déroute. Les choses ont retrouvé leur place, mais pas lui. « Je suis immobile dans l’atelier, incapable de trouver des repères. La mobilité me manque. » Il prend alors ses couleurs et ses papiers, se déplace de quelques kilomètres et trouve un endroit neuf où s’installer. Cette mobilité lui est devenue essentielle. Si bien qu’il projette, l’été 2022, de retourner en Alsace, peut-être à Bruxelles et en Corse, et de remettre son nomadisme au centre de son travail. C’est en somme une recouvrance de territoire, lui qui est d’origine saharienne, d’accompagner sa couleur dans le déplacement et de ne plus arrêter le mouvement. Nomade par retrouvailles humaine autant que plasticienne.

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Roger Calmé‚ (ZO mag’)
Photos: © Rachid Rafik
Contact: (20+) Rachid Rafik | Facebook
Résidences : (20+) Ateliers d’artistes Zagora | Facebook

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