Comment des objets prennent possession des gens ? Et pour quelle raison, des états abdiquent toute volonté pour se plier aux exigences du marché et de la dialectique dominante ? Adji Dieye ne cesse de poser ces questions liées de l’abus historique et culturel. La seule liberté est-elle consumériste ? Libres d’acheter ? Libre de produire de l’art commercialisable ? D’avoir un canapé et une toile au-dessus?


En s’inspirant de ses archives personnelles, l’artiste sénégalaise projette ce qu’elles suggèrent à l’échelle des états, et spécialement de ceux de l’Afrique de l’ouest. La question posée est de savoir ce qui a pu se passer suite aux Indépendances. Et plus précisément, comment ces pays en sont arrivés à figurer les individus de cette manière. A l’image de ce qu’elle consomme désormais, la personne devient elle-même de la même nature, un objet parmi les objets, quantifiable et classifiable, sans le moindre rapport avec la figuration ancienne. La recherche entreprise laisse donc à comprendre que ces mêmes pays sont d’une construction similaire. La manipulation est vertical, et pourrait s’agir d’un produit d’importation, relooké pour la circonstance. Mais les positions demeurent semblables. Les gestes et les réflexes sont des copies conformes. Les décideurs, les maîtres de cette organisation poursuivent cette entreprise de la même façon d’ailleurs sur leurs propres territoires. La figuration qu’ils proposent à leurs citoyens est de la même nature.

Sérigraphie sur soie sergée et structure de métal. By courtesy Cécile Fakhoury galerie.
Dans le même temps, la galerie Fakhoury (Abidjan) présente le travail récent de l’artiste sous un titre qui ne laisse planer aucun doute. « Faites-nous confiance » fonctionne de cette manière. Adji Dieye montre entre autres une structure métallique, à l’intérieur de laquelle sont tendues des images sérigraphiée. L’allure générale est celle d’un mobilier « moderne ». La sculpture-assemblage est placée devant une baie vitrée. Derrière celle-ci, on devine un jardin prétendument exotique. Illusion, perversion de l’image, clichés planétaires.
L’artiste italienne (sénégalaise d’origine) vient d’installer un corpus de trois oeuvres (vidéo, sérigraphies sur soie, photographies…) au C/O Berlin, intitulé » Culture Lost and Learned by Heart « , visible jusqu’au 21 avril.
« FAITES-NOUS CONFIANCE », Adji Dieye, Galerie Cécile Fakhoury – Abidjan du 16 avril au 18 juin 2022.
https://co-berlin.org/en/program/exhibitions/adji-dieye
« Les producteurs culturels de l’art contemporain doivent créer un espace pour enfin réinventer les systèmes. (…) . Je me demande à quoi ressemblera l’avenir du monde de l’art, en particulier pour les artistes émergents comme moi. Est-ce que ce sera le moment où une structure diversifiée pour les arts sera établie? Sera-t-il basé sur des méthodologies artistiques différentes plutôt que sur un système rigidement capitaliste ? Le système même qui est constamment discuté en théorie mais très bien pratiqué dans notre économie de l’art, et qui alimente une compréhension marchande des questions culturelles ? »
https://co-berlin.org/en/program/exhibitions/adji-dieye

Photos: DR et Adji Dieye
Repères:
Adji Dieye (né en 1991 au Sénégal) est lauréate du C/O Berlin Talent Award 2021 dans la catégorie art.
Elle a étudié les nouvelles technologies pour l’art à l’Accademia di Belle Arti di Brera de Milan et a obtenu un Master of Fine Arts à la Haute école des arts de Zurich. Son travail a été inclus dans des expositions collectives internationales à FOAM Amsterdam (2020), Kunsthalle Wien (2020), ainsi qu’à la Biennale africaine de la photo à Bamako, au Mali (2019) et au Lagos Photo Festival (2017).
Adji Dieye partage son temps entre Milan, Zurich et Dakar.
Laisser un commentaire