France / sculpture / Laura Labri Laborie / DES OS SORTIS DE LEUR LIT.

Deux grands mystères s’offrent à notre regard. Si on lève la tête, le ciel fait entendre un silence considérable. Si on l’abaisse, en direction de nos pieds, nous plongeons dans une énigme toute aussi immense, mais plus facilement accessible. Les hommes, qui sont des créatures pragmatiques, se sont donc équipés de cuillères et ils ont creusé la terre. Il faut demander à Laura Labri Laborie les raisons premières de cette activité. Sans en faire une exacte chronique, sans doute cherchaient-ils des refuges, des lieux tranquilles où enterrer leurs morts, cacher les butins, prier les dieux, trouver des pierres aussi lumineuses que la terre pouvait être sombre. Ils ont creusé, et sous leurs doigts, quantité de magies sont apparues.

L’empreinte des doigts (…) de ce dieu qui s’est amusé à les façonner (…) avec leurs formes convexes et concaves, les os s’emboîtent les uns dans les autres . P. Picasso

Dans un texte qu’il consacre à la sculpteure, Andrés Pérez creuse ces hypothèses et en arrive à une question simple : « comment rétablir les liens avec la communauté des vivants, la communauté biotique, la matière, la terre ? » Le travail de la sculpteure lui paraît une bonne réponse et il en éprouve une joie profonde.

Creusons donc un peu plus cette histoire et remontons à la lumière quelques-uns de ces os, de ces figures d’outre-tombe, de ces fétiches pâles, terres bouillies et séchées, regards creusés par les longues fatigues. Les personnages de Laura n’ont pas la beauté des vivants. Ils ne s’habillent pas de pimpantes jupettes. Ils sont essentiels, tassés, la bouche ouverte sur un cri qui ne sort plus, mais qui est là et remplit l’espace. Ils sont comme Picasso le disait à son ami Brassaï : « on a l’impression qu’ils sortent d’un moule après avoir été modelés dans la glaise (…) vous y retrouverez toujours l’empreinte des doigts (…) de ce dieu qui s’est amusé à les façonner (…) avec leurs formes convexes et concaves, les os s’emboîtent les uns dans les autres ». Les voilà qui vous entourent et qui attirent votre attention.

Dans cette exposition (en duo avec Geneviève Seillé, dessins), Laura Labri Laborie revient donc à ce monde du dedans. Au-dedans de nous certainement, au-dedans de la Terre, mère morte et vivante, ressac de pierre et écume de boue. C’est à la fois beau et un peu inquiétant, d’une vérité qui pourrait et d’une folie qui suppose, c’est dans l’ « entre », qui va depuis des points sans certitude, dans des grincements de porte. Laura a plongé ses mains en terre et elle a retiré ces choses qui sont des hésitations tellement humaines, vieilles de tous nos millénaires.

Il y a sur son travail une histoire qui pourrait être vraie. En 2018, la jeune femme se réinstalle dans la région de Béziers (France). Elle entreprend des travaux sur cette maison familiale. Au cours de ceux-ci, le terrassement met au jour une grande quantité d’os de bœuf. « Après enquête, ces déchets témoignent de l’alimentation du patriarche. (…) Cet arrière-grand-père (…) était un grand amateur d’osso buco. Quotidiennement, le bouillon d’os mijotait dans la marmite… Après usage, les os étaient enterrés. »

A partir de ce travail quasi archéologique, Laura poursuit sa quête. Il parait que la campagne avoisinante abonde d’ossements en tous genres. L’exposition s’appelle « Ossatures » et ce mot colle si parfaitement, il s’assemble si bien au squelette, il résonne de la même matière. Ossatures, architectures de nos songes temporaire et temporaux.

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Ossatures, du 15 avril au 15 juin 2022, Laura Labri Laborie et Geneviève Seillé, Espace Lally (Béziers).
https://www.espacelally.com/exhibitions/
RC (ZO mag’)
Photos: by courtesy Espace Lally

Repères:
Laura Labri Laborie est née en 1989. Elle vit et travaille à Quarante, à 30 km de Béziers.
Expositions personnelles:
2017: « Matériaux de construction », Tour Maurand, Toulouse.
           « Les Concrétions Circulaires : le Retour au Vignoble », Château des Carrasses, Quarante
2016: « Les traces réinventées : les reliquaires de l’université du Mirail », Hall de la Maison de la Recherche et bibliothèque universitaire, UT2J, Toulouse (France).

Expositions collectives:
2021: « Adama », Maison des arts, Bages, (France)-
           « Ar(t)deur et préjugés », Espace Lally, Béziers (France).
2020: « Le vent d’août », Festival d’art indisciplinaire, Davejean, Hautes Corbières (France).
           « Des créations contemporaines et des créatures primitivistes », Hôtel Le Grand Chalet, Leysin (Suisse).
2019: « Florilège d’été », Galerie Sophie Julien, Béziers.
     « Intérieur », Taur Maurand, ESAV, Toulouse (France).
2018: « Des concrétions », Galerie Didier Bresson, Béziers.
2016: « Palimpseste », Tour Maurand, Toulouse.
2015:  Semaine « Paysage intime », Galerie La Ralentie, Paris
     « Tondo unus » mis à l’honneur dans la vidéo réalisée par la galerie.
2014: « Des espaces autres », La Fabrique, Toulouse.

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