Dans un monde rempli de bruit, où le mot en est un, où l’intention du mot revient à prévoir son volume sonore, le travail de Fatiha Zemmouri tient d’une expérience heureuse. Il n’y a aucun désordre à l’approche de ses pièces, qui laisserait supposer la volonté de se montrer, une ambition quelconque à attraper la lumière et la maintenir à sa hauteur, complaisante et servile. Fatiha Zemmouri a largement dépassé cet endroit où la plupart des artistes font leur tapage médiatique. Elle marche dans une immensité et cet espace ne sous-entend aucune contrainte autre que les éléments mêmes de l’immensité. Les éléments sont peu bavards. Ils sont. Fatiha ne s’encombre d’aucun mot. Elle est de la même manière dans la confidence muette des éléments.

Dans un texte paru il y a deux ans (*), Fernando Gomez de la Cuesta a longuement interrogé ce parcours singulier de la plasticienne marocaine. Il s’est intéressé notamment à son penchant aux extrémités de la couleur. Si l’on excepte ses grands volumes de pierre et de terre, Fatiha voyage dans le blanc et le noir, qui tiennent de l’interrogation première. Il écrit à ce sujet : « Le noir de Fatiha Zemmouri commence dans la matrice maternelle, dans la caverne, dans l’atelier du forgeron, dans l’athanor de l’alchimiste, dans ce qui est originel, essentiel, primitif, mais il atteint aussi l’obscurité de la nuit, le crépuscule, le feu, le dernier souffle. » Le noir n’est pas banal, il est à la fois la fin et le commencement. Et le blanc pourrait être une volonté de la même essence, un trait tracé entre les extrémités. qui contiendrait ainsi toutes les couleurs, avant qu’elles ne soient.
« Le noir de Fatiha Zemmouri commence dans la matrice maternelle, dans la caverne, dans l’atelier du forgeron, dans l’athanor de l’alchimiste, dans ce qui est originel, essentiel, primitif… » Fernando Gomez de la Cuesta
Le travail de Fatiha participe-t-il de cet exercice ? Il tiendrait ainsi d’une traversée qui révèle combien la matière est poreuse, d’une nature transverse, dans ces multiples mutations que la temporalité inflige. Noire au commencement comme à la fin, blanche dans l’instant de la révélation. Fernando Gomez de la Cuesta évoque donc l’origine philosophique du noir, matrice originelle au fond de laquelle les hommes iront chercher la satisfaction de peindre. « Dès l’origine de l’humanité (ils) sont allés dans les endroits les plus sombres de la terre pour peindre non pas avec des couleurs, mais avec du noir. Et, ça a duré des centaines de siècles. » C’est l’une des plus belles choses qui soit écrite sur ce rapport à la couleur. Au fond d’un gouffre, d’une caverne primitive, la lumière est là, portée à par la volonté de savoir, et c’est ici, hors le bruit que ça doit se passer.


Il y a deux ans, Fatiha Zemmouri présentait deux séries à l’AKAA (2019, Galerie Katharina Maria Raab). La première figurait des encres derrière des plexiglas montrant des pierres attachées à des fils métalliques. Le second affichait des corps noirs à l’époque coloniale, des corps comme celui de ce jeune homme wolof, que l’on dirait surpris dans son sommeil. Ce sont ces images anciennes que lui inspire la situation actuelle. Les seuls mots que l’on puisse trouver d’elle, dits à un moment, et qui renseignent aussi sur son inquiétude. « Paper Border » est né » du constat, au fil de mes parcours dans Casablanca, du nombre grandissant de jeunes Africains tendant la main pour quelques pièces afin de poursuivre leur route et traverser la Méditerranée vers l’Europe, » écrit-elle. Il faut un courage considérable pour quitter son territoire, dépasser la frontière, la mémoire, tout quitter « et de s’exposer à la peur, à l’humiliation et à la mort pour trouver ou retrouver dignité et sécurité ».
C’est tout. Il n’y a rien à rajouter, et de revenir maintenant à ces œuvres qui parlent de choses simples et essentielles, dans un vocabulaire abstrait certes, mais d’une totale simplicité. Dans une grotte noire, dans ce noir matriciel, tendu d’une paroi à l’autre, Fatiha recherche le sentiment fondateur. Il est humain sans doute, en admettant que nous le soyons encore.
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RC (ZO mag’)
Photos : Fatiha Zemmouri
A lire: (*) Lumineuse blessure. https://fatihazemmouri.com/textes/lumineuse-blessure-fernando-gomez-de-la-cuesta/?lang=fr
Repères:
Née en 1966 à Casablanca, Fatiha Zemmouri vit et travaille entre Casablanca et Marrakech. Elle est diplômée de l’école des Beaux-Arts de Casablanca.
Expositions individuelles:
2020: « Intra muros », Comptoir des Mines Galerie, Marrakech, Maroc.
2019: « Paper Borders », Galerie Katharina Maria Raab, Art Week Berlin, Allemagne.
2018: « Materia Prima », Scuderie Ducali di Palazzo Acquaviva, Atri, Venise, Italie.
2017: « Chant état transitoire », Galerie 38, Casablanca, Maroc.
2016: « Vibrations », Artspace Gallery, Dubaï, Emirats Arabes Unis.
« Materia lumen », Dar el Kitab, Casablanca.
2013: « L’Œuvre au blanc », Galerie 38, Casablanca.
2012: « Blanche est la nuit », BCK Art Gallery, Marrakech.
« L’Œuvre au noir », Galerie 38, Casablanca.
2011: « Vivre la création artistique », Fondation CDG, Rabat.
« Matières mémoire », ab Galerie, Rabat.
2010: « Architextures », Galerie Nadar, Casablanca.
« Œuvres récentes », Galerie Ré, Marrakech.
2008: Galerie Cyril Shirch, France.
2007: « Elementerre », Institut Français de Casablanca.
« Mémoire saturée », Galerie Nadar, Casablanca.
1999: Galerie Bab el Kebir, Rabat.
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