Toute la vie ne se résume-t-elle pas à cette fichue question ? Un matin, vous poussez cette barque dans l’eau et vous montez. Ça peut être une rivière, un océan en trois dimensions, mais aussi une toile, un mariage, de vous engager aux côtés des combattants de la liberté… C’est une barque. Et c’est sans doute ce que Ronald Cyrille a commencé de peindre, dans ce fabuleux pluriel des possibilités. De toutes les matières, de toutes les formes, dans des sentiments et des couleurs qui vont d’un bout à l’autre de l’horizon. Ronald Cyrille, peintre insulaire et caribéen, sait de quoi il parle. Sa barque est là, face au vent, prête à la navigation..

Dans un petit livret, Ronald rédige quelques lignes sur le sujet : « Chez moi le bateau est souvent un canot ou une forme de pirogue qu’on retrouve souvent chez les Kalinagos (…). C’est aussi un souvenir d’enfance, des moments partagés à naviguer avec mon grand-père pêcheur et une invitation à embarquer dans mes souvenirs. » Voilà qui met une première touche au tableau, et non la moindre. Mais c’est ensuite que le tableau commence.
Des dizaines de toiles et de dessins sont alors proposés. Ils vont revêtir des formats très différents, de la fresque murale au dessin minimaliste. Les couleurs et les atmosphères ne sont jamais les mêmes. Il peut s’agir d’une navigation nocturne et fantastique, d’un tableau symbolique, d’une barque au sommet d’une crâne ou d’un arbre, en partance pour la vie ou la mort, objet évident de culte, aux passagers pourvus de becs (et de dents), de sorciers souriants et d’enfants ébahis. C’est toute une humanité qui monte à son bord, et l’humanité a toutes les raisons de mettre cette embarcation à l’eau.


L’actualité en donne une bonne illustration. Ce n’est plus du symbole qu’il est alors question, mais de la douloureuse réalité. Et s’il ne restait que cette barque ? Dans les années 90, le peintre cubain Alexis Machado évoquait ainsi la fuite de l’île. De la même manière, Yancouba Badji peint les traversées mortelles de la Méditerranée. Ronald Cyrille garde ces images à l’esprit. Parfois, ses barques sont sombres, comme celles qui mènent les morts sur l’autre rivage. Parfois, des fétiches vodoun poussent sur les rames et ce sont des chants funéraires qui montent sous la lune. La barque s’en va dans le courant. La toile se referme.
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Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: by courtesy Krystel Ann Art gallery
https://www.krystelannart.com/fr/artiste/cyrille-ronald/
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