L’anecdote date de l’an dernier, durant cette période singulière du confinement. Lorsqu’il la raconte, Rachid Rafik n’exclut pas la part d’étrangeté qu’elle peut receler. « Un matin, je suis dans l’atelier, et je travaille sur un tableau, quand j’entends frapper à la porte. Une femme se trouve là et me demande d’entrer pour voir ma peinture. Elle s’assoit, elle observe, elle ne dit presque rien, puis elle me demande du papier et se met aussi à peindre. Pendant les trois jours qui suivent, elle revient. Chaque fois, elle entre et ne dit presque rien. Juste elle se met devant le papier et elle peint. A la fin du troisième jour, elle s’en va. » Depuis ce moment, le peintre Sahraoui ne l’a plus revue. Le tableau qu’il aboutit montre un cheval blanc, paisible, dans un enclos de lumière. Il est toujours dans l’atelier, Rachid ne veut pas s’en séparer.

Entretien téléphonique, début février. Découvert par hasard sa peinture, d’une lumière permanente, tangible, avec une évidence de la matière minérale. La réponse confirme cette impression première. « Je peins avec ce qui m’entoure, avec la matière que je peux trouver, la toile de jute comme support, le carton, les pigments « naturels » que la vie me donne. C’est très important pour moi, que mon quotidien soit physiquement dans le tableau, la poudre de pierre, le café, la lie du vin. » C’était le cas, il y a quelques semaines en France, dans une cave d’un ancien vigneron. C’est à ce contact, à cette rugosité que le tableau se nourrit.
En l’espace de trois ans, le travail de Rachid a considérablement évolué. Au commencement, ses toiles empruntaient à une figuration plus conventionnelle, marquée par le désert et ceux qui le parcourent. Puis au fil des tableaux, la complexité est venue, dans l’association des signes, la possible écriture surtout, l’alignement des chiffres. « Je n’ai pas d’attirance particulière pour la chose écrite, sourit-il, et je ne pense pas avoir beaucoup écrit depuis mon mémoire universitaire. Si j’intègre ces signes, c’est en rapport avec mon quotidien, parce qu’ils racontent à leur façon. La venue de mon fils, le temps qu’il passera ici à Marrakech, l’argent qui me reste pour le mois. » De la même façon que la matière, cet ancrage à la réalité positionne le tableau et lui donne ses points cardinaux.

Quand il a intégré l’Ecole des beaux-arts de Casablanca, Rachid Rafik était le premier élève sahraoui qui suivait ce cursus. Les Sahraouis sont des hommes du désert. Zagora est le dernier port avant les premières dunes. De ce déplacement, les toiles parlent aussi. De son attachement aux animaux, qui est dans l’éducation d’une grande importance. Un cheval blanc porte le cavalier. Ces deux dernières années, à un moment où l’espace commence à se refermer, le peintre a changé son mode de fonctionnement. Jamais la mobilité ne lui a paru plus essentielle. « Je garde mon atelier à Marrakech, dit-il, mais je veux aussi prendre mes toiles et m’en aller. Je veux que la peinture redevienne nomade. L’atelier est partout. » C’était en Europe dernièrement, avant de revenir à ses montagnes de l’Atlas, et de repartir encore. C’est écrit sur la toile, c’est peint dans ses mains.
« Je peins avec ce qui m’entoure, avec la matière que je peux trouver, la toile de jute comme support, le carton, les pigments « naturels » que la vie me donne. C’est très important pour moi, que mon quotidien soit physiquement dans le tableau, la poudre de pierre, le café, la lie du vin. » Rachid Rafik
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos : Rachid Rafik
Contact : (20+) Rachid Rafik | Facebook
Repères :
Rachid Rafik est né en1972, à Zagora (Maroc). Il fait ici ses études secondaires, avant d’intégrer la section économique à l’université de Marrakech (1994). En 2001, il débute ses études d’art à Casablanca.
Principales expositions :
2003 : Memo Art, Casablanca (Maroc).
2011 : « Monde des femmes », Itiens, Paris (France).
Maison de la culture, Neuilly-sur-Seine (France).
2012 : Présentation permanente, Galerie d’art, Zagora (Maroc).
2015 : « Art manière », Casablanca.
2016 ; Afrika casa, Arkan (Maroc).
2021 : Résidence-expo, Studio Art 42, Riquewhir (France).