On doit écouter les couleurs. Il arrive qu’elles soient excessives et se mettent au service d’un dessin qui l’est tout autant. Alors ça devient comme un grand carnaval du sens et de la raison, ça pète dans toutes les directions. De ce feu sacré, sort alors la vérité. La peinture de Ronald Cyrille fonctionne sans doute de cette façon. Elle tient sous pression des tas de choses. Cet homme a grandi sous un volcan, ses îles intérieures sont toutes de cette nature. Elles tiennent à la fois des jardins vodous et de la colère contemporaine. Leurs chemins sont en vert et en rouge, déformés par les grandes pluies et les constats de société. Comme il le dit lui-même : « Je développe un questionnement autour d’une mythologie personnelle, en écho avec notre société contemporaine à travers le créole, les légendes (…). Il s’agit à la fois de ce qui me mine et qui m’anime, du local et de l’étrange, d’une singularité tendant vers quelque chose d’universel, de quelque chose d’indéterminé, mais très poétique. » Les éléments sont là, dans ce désordre nourricier, la nuit-jour peut commencer.


A l’arrière de cette case, deux chemins se devinent. Ronald Cyrille se tient assis au croisement. Il fume une pipe dans un épi de maïs, tandis que des oiseaux-serpents clouent dans le ciel leurs battements répétitifs. Le premier s’en va vers un morceau de forêt qui s’appelle « Eden, Déjiné, an ba zayan », peint en 2017. Le second regarde à peu de distance (2018) deux silhouettes, deux lueurs serpents qui s’entretiennent (« Let’s talk » et « Equal »). Une partie de son monde tient à ces deux extrémités. Deux manières de peindre cette appartenance au rêve, sans que la réalité s’éloigne tout à fait. Cyrille pose souvent dans ses décors des cônes signalétiques. La couleur en est orange. Ils nous avertissent d’un possible ralentissement, d’une percussion de la signification. La bagnole tombe du haut de la falaise et l’oiseau l’accompagne d’un sifflement d’opéra.
« Je développe un questionnement autour d’une mythologie personnelle, en écho avec notre société contemporaine à travers le créole, les légendes (…). » Ronald Cyrille
Il n’y a de contradiction entre ces mondes parallèles, complémentaires, et qui naissent des mêmes étreintes. Le monde selon Ronald est à l’intersection des routes, à un moment de la journée qui n’a pas d’heure. Ça peut très bien se passer sous nos yeux et dans l’actualité qui fait misère. Les îles, pleines de couleurs, sont aussi des terres de désolation. En 2010, Ronald Cyrille peint les cités, puis un peu plus tard les manifestations (« Saint Nestor », 2014). Sur le tee-shirt, est écrit « negro ».


« Ce sont des métaphores plastiques qui parlent de l’homme à travers son animalité dont il ne peut pas faire le deuil », mentionne-t-il sur son blog. Animaux, nous sommes, sous des couronnes en plastique, lumineux et warholiens, sortis du cauchemar climatisé. Ronald Cyrille tient un plan dans sa main, où sont indiquées de possibles issues. Elles n’ont pas d’époque, aucune appartenance, ni théorie, elles vont du sacré au profane, elles creusent dans la terre-lumière notre besoin d’échapper au Grand Mensonge.
“Le chien créole se promène à travers les tableaux. Il est de moins en moins présent en Guadeloupe puisque les gens ont adopté les chiens de race. Ce chien créole symbolise aussi l’errance. Durant mon enfance à la Dominique, il n’y avait pas beaucoup d’éclairage public et, quand la nuit tombait, arrivait la peur de l’obscurité. Les dents du chien représentent le danger, la menace, mais aussi le sourire et le temps qui passe, alors ces dents tombent. ” Ronald Cyrille
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: by courtesy Krystel Ann Art gallery
https://www.krystelannart.com/fr/artiste/cyrille-ronald/
A lire aussi : Ronald Cyrille, un ambassadeur pour l’art guadeloupéen – Kariculture

Repères:
Ronald Cyrille (alias B.Bird) est né en 1984, à Saint Domingue, où il a passé une partie de son enfance. C’est plus tard, après son arrivée en Guadeloupe qu’il commence à s’intéresser au dessin, par le biais de la bande dessinée et de l’illustration.
Après ses études secondaires, il obtient un master en arts plastiques au Campus Caribéen des Arts de la Martinique (2012). Il vit et travaille aujourd’hui en Guadeloupe.
Expositions individuelles:
2019: « Prolifique » Kafé Artistik, 2019.
2017: « Odyssée ponctuée », Centre Culturel Rémy Nainsouta, Guadeloupe.
« Carré d’art de Guadeloupe ».
2015: « Brainstormings », Fondation Clément, Martinique.
Collectives:
2022: « Stick it », Tern Gallery.
2018: « Désir Cannibale », Fondation Clément – Martinique.
« Éclats d’îles Vol.1 », Galerie A2Z – Paris (France).
« ADN », Galerie René Arcenec Latrium, Martinique.
2017: « Africa, Le grand festin », Galerie Mario Mauroner, Vienne (Autriche).
« Mémoire Caraïbes », Maison des Arts de Bagneux (France).
2016: 4ème Rencontre d’Art et d’Histoire de Trois-Rivières, Guadeloupe
Très bel article
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J’ai beaucoup aimé l’idée de tension qui existe à travers la peinture de Ronald Cyrille.
Une petite confusion m’a tout de même interpellé. L’auteur semble confondre l’île de la Dominique et La République Dominicaine.
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