L’impression est un peu celle d’un terrain inconnu. La jeune femme est assise en face de vous et la conversation part dans des directions multiples. Elle peine à se stabiliser et à un moment, vous vous dites que c’est mieux ainsi. Les efforts que l’on pourrait faire pour fixer l’image de Kudzanai-Violet Hwami ne servent à rien. Au contraire, ils contribueraient à construire un mensonge.

En novembre dernier, la galerie londonnienne Victoria Miro expose ses dernières toiles sous le titre évocateur: « Quand vous avez besoin de lettres pour votre peau« . C’est une introduction assez paradoxale, parce que l’artiste du Zimbabwe a quelques réticences avec l’explication. Les mots lui viennent en vrac, au contraire de sa peinture qui met exactement le doigt sur ses fluctuations internes. Kudzanai-Violet Hwami a justement donné ce titre à l’exposition pour cette raison. Le malaise qui l’accompagne, l’incertitude d’elle-même, l’appartenance dont elle doute et qui pose sur la toile une ubiquité permanente, du genre, de la rationalité, un besoin de reconciliation avec ce qui l’entoure. Il y a un mot bantu qui dit ce sentiment et la pensée structurante qui va avec : Ubuntu.
Pendant quelques jours encore, la jeune femme montrera ses dernières toiles au Palais de Tokyo, où se tient justement une collective sur ce terme fondateur, panafricain, libre et de bonne compagnie. « Ubuntu » est l’un des grands courants de la philosophie africaine et il peut se résumer très simplement: » une humanité dans la réciprocité » ou encore l’acceptation de la différence et l’enrichissement qu’elle donne aux membres de la collectivité. « Ubuntu » a réussi à survivre aux pires instants de l’histoire et l’époque contemporaine, la plus toxique sans doute, est en train de l’engloutir. C’est contre cela que peint Kudzanai-Violet Hwami, dans un travail limpide qui dit la contradiction de l’être et son incapacité à l’unicité.

Contradiction est un mot plein d’énergie positive. Il intègre la notion du dialogue interne et des voix qui se superposent. En somme, la jeune femme (qui rêvait d’être un garçon) évoque à répétition la capacité de transformation. Rien n’est arrêté, tout est en devenir.
« Peindre pour moi est une pratique qui me permet de rester curieux, et l’acte d’utiliser le collage est utile pour rappeler la fragilité de la condition humaine. » Kudzanai-Violet Hwami
L’un des tableaux récents que l’on pouvait voir à Londres s’appelle « Eve on psilocybin ». Il s’agit d’un petit champignon très prometteur qui brouille les pistes sensorielles. Il s’agit d’une femme libre qui choisit un autre chemin émotionnel, affectif, politique peut-être. Parce que « Ubuntu », suggère Kudzanai-Violet, accepte les incertitudes et la recherche attenante. Ubuntu accepte que tu sois homme et femme, que tu veuilles devenir ce que tu n’est pas, que tu as été et que tu seras, dans une perspective qui n’a plus de dominante et de discours officiel. C’est ce qu’elle disait déjà, avec son humour à elle, dans « The Egg » (2016), peinture androgyne , où une jeune femme montre un visage barbu, une figure ornée de deux cornes jaunes fraîchement phalliques.

On en était donc là de la conversation, on ne savait plus très bien, dans quel sens coulait la rivière et si l’on aurait encore pied au milieu. Kudzanai-Violet Hwami nous disait qu’elle rassemblait des images d’elle et de ses proches, des endroits d’où elle venait, de son histoire et qu’elle voulait la raconter maintenant de façon différente. Qu’elle avait cherché cette liberté depuis le départ du tableau, sur l’autre berge d’elle-même, et que c’était en somme de cette façon qu’elle voyait à présent le paysage. Ubuntu.
Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: © Kudzanai Violet-Hwami / courtesy of the artist
Des oeuvres de Kudzanai-Violet Hwami sont visibles dans la collective « Ubuntu: A Lucid Dream » au Palais de Tokyo, jusq’au 20 février 2022, Paris (France).
https://palaisdetokyo.com/exposition/ubuntu-un-reve-lucide/
« Je pense que je cherche la liberté. La création de collages, qui est un processus que j’utilise pour créer une image, m’a donné une liberté absolue en tant que stratégie… » Kudzanai-Violet Hwami
Repères :
Kudzanai-Violet Hwami est née à Gutu, au Zimbabwe, en 1993.
Ses études d’arts ont été menées au Royaume, où elle a obtenu son baccalauréat en beaux arts (Wimbledon College of Arts, 2016). Elle a reçu cette même année oplusieurs prix (Clyde & Co. Award et le Young Achiever of the Year Award aux Zimbabwean International Women’s Awards), avant de monter sa première exposition personnelle en 2017.
En 2019, Hwami présente son travail au 58ième La Biennale de Venise dans le cadre du pavillon du Zimbabwe.
Elle réside et travaille actuellement en Grande Bretagne.
Remerciements au MAM de Paris.
The Power of my hands, Musée d’art moderne de Paris.
https://www.mam.paris.fr/…/exposition-power-my-hands
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