Hollande / Peinture / Natasja Kensmil / L’HIER EST-IL LE LIT DES HYENES ?

Peindre une partie de soi-même et peindre le monde. Voir ce que l’on a en soi de sentiment raisonné et l’envisager à la lumière de ce qui nous entoure. La peinture de Nastasja Kensmil emprunte ce cheminement. A un critique qui lui demande si le peinture et l’écriture participent du même mouvement, illustrer l’universel avec le cas particulier, elle modère néanmoins le propos. Rien n’est arrêté dans cette recherche. Mais au final, c’est la place de l’humain, qu’il soit un roi, qu’il soit un « rien », dans la société et sa représentation qui l’intéressent.

Cet individu peut être une personne ordinaire ou un roi, il peut être elle ou un dirigeant très puissant. Mais que se cache-t-il derrière cette allure qu’il se donne ou que l’histoire lui confère, quelle part de vérité dans la représentation et le lieu de la mémoire. Et si la peinture était là pour l’aider à le découvrir ?

Il y a quelques semaine, l’Etat hollandais lui a remis (à l’unanimité) le prix Vermeer. Cette récompense prestigieuse était justifiée par le jury pour le côté « guérisseur, constructif et critique » de ses toiles.  « Kensmil réfléchit sur le canon dominant et apporte de nouvelles histoires », déclarait le jury. « Il ne barbouille pas, n’enlève pas, n’ignore pas, mais déforme plutôt. » Et cette « déformation » est un vecteur de sens, une remise en perspective profondément humaine.

« Dans quelle mesure, savaient-ils d’où venait leur argent ? Que leur prospérité était en partie due au pillage à l’étranger ? » Natasja Kensmil

La visite de l’atelier permet alors de mieux comprendre le chemin qu’elle emprunte. Au commencement, Natasja Kensmil collecte des images, des objets, des coupures d’évènements, des dessins qui tapissent les murs, et auxquels elle se réfère pour installer ses repères. La toile se construit ainsi d’un premier « vécu » sur lequel elle pose de successifs éclairages. De cette manière, elle peut atteindre à une compréhension progressive de son personnage et de son époque.

Dans le cadre d’une commande pour la Maison Rembrandt, l’artiste s’intéresse ainsi aux régent(e)s. Qui sont ces personnages de pouvoir ? Dans ce cas elle dit vouloir se débarrasser du « vernis civilisationnel » pour atteindre la vérité du personnage. « Qui sont-ils ? D’une part, ils étaient miséricordieux, ils œuvraient pour de nombreuses causes. Dans quelle mesure, savaient-ils d’où venait leur argent ? Que leur prospérité était en partie due au pillage à l’étranger ? (…) Qu’est-ce qui motive quelqu’un et dans quelle mesure choisit-il le bien ? » explique-t-elle à propos de ce travail. L’humanité à un moment de la décision, dans le choix possible, dans l’intimité de la toile.

Rois, marchands, porteurs d’armoiries, saviez-vous ? La question « humaine » que pose Natasja Kensmil aux puissants d’hier et à ceux d’aujourd’hui.

Cette écoute de l’autre, aussi éloigné soit-il dans le temps, c’est aussi son écoute personnelle. Patiente. Le tableau se construit à sa vitesse propre. Chaque toile à la sienne. Si bien qu’elle travaille toujours différentes œuvres en même temps, dans l’attente d’un signal. Plusieurs semaines parfois sur un détail, sur un geste, qui dira au final : c’est ainsi que je nous vois, moi la peintre et toi le personnage de ce temps. La parole est rendue, et non plus imposée par le code historique. C’est sa parole, son écriture, à la lumière de ce qui l’entoure et la précède.

Roger Calmé (ZO mag’)
Photos: DR et ©Natasja Kensmil
www.natasjakensmil.nl

« Parfois, je travaille sur un bras pendant des semaines jusqu’à ce que le bon geste passe, parfois je change complètement de posture. Je suis mon propre critique maintenant, ce qui signifie que je peux travailler sur un tableau pendant un an, deux ans même, jusqu’à ce qu’il soit si épais et lourd… »

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Repères :
Natasja Kensmilest née en 1973 à Amsterdam (Pays-Bas).
Elle a suivi les cours de la Vrije Tekenacademie (1990-92), de l’Académie Gerrit Rietveld 1992-96 et ceux DeAteliers, troisième cycle (1996-98)
Elle est lauréate du Vrije Kunstschildersprijs (1998) et du Prix Johannes Vermeer (2021).
Vit et travaille à Amsterdam.

Expositions personnelles :
2021 : Natasja Kensmil et Sadik Kwaish Alfraji, Kunsthal KAdE, Amersfoort (P-B)
2020: Monument der Regentessen, Musée d’Amsterdam à Hermitage Amsterdam (P-B).
2018: À la lumière du temps, avec Nicoline Timmer. Galerie Andriesse Eyck, Amsterdam
2015 : Marcheurs de l’Évangile, Galerie Andriesse Eyck, Amsterdam.
2013 : Crying Light , Gallagher Gallery, Royal Hibernian Academy, Dublin (Ireland).
2011 : La Belle au bois dormant , Galerie Paul Andriesse, Amsterdam.
2010 : Reine des glaces , Michael Stevenson, Le Cap (Afrique du sud).
2009 : Raw Couples , Galerie Paul Andriesse, Amsterdam.

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