Mali-France / Photographie / Bouba TouréCE QUE LEURS MAINS RACONTENT

Ce sont des gens qui travaillent. Ils ont encore les mains pleines de cambouis, les pieds qui pataugent et le sourire de ceux qui en sont venus à bout. Les photographies de Bouba Touré sont à leur image. Elles ne s’encombrent d’aucun artifice. Leur conservation a souvent souffert. Abîmés comme le sont les mains et les yeux, dans la poussière et le soleil. Fatigués et contents de l’être. Regardez ces images au bord du fleuve. Des jeunes qui rient, qui bombent le torse. C’était hier, c’est aujourd’hui, et aujourd’hui encore, personne n’y fait vraiment attention.

Le 21 janvier dernier, Bouba Touré est mort. On n’en sait guère plus. Même de l’endroit où ça s’est passé, et de son âge. Il est mort anonyme. Et pourtant, Bouba Touré n’est pas n’importe qui. Durant les années 70, il a été parmi les premiers à documenter la vie des travailleurs maliens à Paris. Du foyer Pinel à l’usine Chausson (région parisienne), c’est à ce contact qu’il a fait sa formation politique autant qu’artistique. En 1971, l’Association culturelle des travailleurs africains en France est née de cette conviction. Tout comme la coopérative agricole « Somankidi Coura », au Mali (1976), sur ces mêmes rives du fleuve Sénégal qui alimentaient les ateliers de la métropole. Des images, beaucoup, pour dire ce que la condition de l’homme est devenue. Condition au conditionnel.

Nous devons nous battre pour que nos filles et nos fils vivent dignement chez nous. L’Afrique doit se battre pour que sa jeunesse puisse travailler chez elle. Bouba Touré

Les années 2000 l’ont vu s’engager plus loin dans la production d’un matériel témoin. Avec Raphaël Grisey et la compagnie Kàddu Yarrax, il travaille le texte de « Tranna » (écrit en 1977) sur cette réalité migrante. Mais il archive aussi sur l’agriculture (Semis de Somankidi Coura), entre autres. En 2015, l’édition de « Ma Case à Saint-Denis » sur les foyers des migrants, puis la réalisation de « Xaraasi Xanne » ( Crossing Voices), avec Raphaël Grisey l’an dernier, iront dans le même sens. Une vie entière, les mains dans le moteur.

Ces rives du fleuve Sénégal qui alimentaient les ateliers de la métropole.

Depuis une quinzaine d’années, les institutions avaient porté plusieurs regards sur son travail. Le Centre Pompidou, le Cabinet archives (Berlin), la Kunsthall (Trondheim, Norvège), et plus récemment les rencontres de Bamako (2019) lui faisaient une place. Dans ses interventions, Bouba Touré reprenait alors quelques points essentiels qui l’ont motivé toutes ses années. Le droit à la décence bien sûr, le respect de l’homme, de sa culture propre, du travail, le devoir aussi de conscience. Tout son travail photographique est là.

« Nous avons d’autres combats à mener. Nous devons nous battre pour notre jeunesse qui ne veut que travailler ! Nous devons nous battre pour que nos filles et nos fils vivent dignement chez nous. L’Afrique doit se battre pour que sa jeunesse puisse travailler chez elle. L’Afrique doit se battre pour que le désespoir ne pousse plus sa jeunesse à émigrer au péril de sa vie. Africains, réveillons-nous, pour obliger nos dirigeants à se réveiller avant qu’il ne soit trop tard. » Bouba Touré.

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RC (ZO mag’)
Photo : B. Touré
A lire : Décès du photographe et militant malien Bouba Touré – kianoushs.com

7 commentaires sur “Mali-France / Photographie / Bouba TouréCE QUE LEURS MAINS RACONTENT

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  1. Non, Bouba n’est pas mort seul et anonyme. Il était accompagné de sa famille, de ses nombreux amis, de ses compagnons de lutte et de création . Toute une communauté rassemblée autour de lui. Plusieurs événements auront lieu en mars pour célébrer sa mémoire.

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    1. Juste de mentionner que bien peu d’échos ont été faits dans les médias, sur cette grande personne.
      Vous avez lu le txt et vous savez combien nous sommes sensibles à son travail. Tenez nous au courant des choses que vous mettrez en place ce mois. Cdl.

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