Il est possible d’y échapper. L’isolement auquel nous sommes contraints, ce rapprochement des murs et cette extinction des fenêtres bouleverse d’un coup la perspective. Nancy Josephson a vécu de manière très contrastée cette période du confinement. Brusquement, la matière organique dont les oeuvres sont faites change. Des sentiments obscurs et incertains parasitent les gestes, l’écoute, la qualité auditive même. Parfois, les lignes sont interrompues, mais les messages parviennent encore d’éléments disséminés. Et la plasticienne comprend alors toute l’importance d’en transcrire le contenu.

« Cette année est une période de formidables bouleversements. Pendant plusieurs mois, nous allons être les otages de l’isolement et des sentiments qui viennent. Le chagrin, la solitude, la colère, le jugement viennent en quantité. Quand la fermeture a été annoncée, j’ai décidé d’user de ce luxe particulier pour travailler des techniques qui m’étaient inconnues. Jusque-là, mon travail reposait essentiellement sur le perlage. Maintenant, je n’avais plus aucune excuse à ne pas explorer tout ce matériel de collecte, amassé depuis des années… » Nancy Josephson ouvre en grand les accès, elle pose les éléments et la forme amorce ce jeu des métamorphoses, comme les cérémonies vaudoues les provoquent.
De cette écoute particulière, neuf sculptures sont nées. « Je n’avais aucune idée de série au départ. C’est venue comme une évidence, à la fin, la parenté qui était la leur. » Un flux a commencé de circuler, un récit s’articule. Dans ses cheveux, Damballah, esprit aquatique, accueille de vivifiantes vipères. L’esprit est calme et pensif. Il pose une temporalité sans menace, faite d’un nécessaire apaisement. La lecture des mantras participe d’une sorte d’analyse. Aux agressions subies, Nancy oppose la fluidité de l’acceptation.


Bien sûr, le miracle ne dure jamais que quelques instants. À l’image de ce « perchoir précaire », qui pose sur la tête la balancelle, l’oiseau et la bougie. La plasticienne a voulu capter ces parcelles réconfortantes, où le vent, la mort possible, l’innocence, la lucidité cessent d’être dans la confrontation et le chaos.
Et si cette période avait été libre (enfin) d’oublier, de défaire et de recomposer les champs du prévisible? Nancy Josephson utilise à plusieurs reprises les mots « mensonge » et « pouvoir ». Elle en éprouve un rejet grandissant, et par le regard clair des loas, la capacité de s’en tenir éloignée. L’art est à l’image de la cérémonie, par la beauté et par le sang, d’une vie qui vient et s’en va. L’œuvre a cessé d’être un combat, mais une musique retranscrite. Ces neuf sculptures en sont les partitions.
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RC (ZO mag’)
Photos DR et Nancy Josephson
Nancy Josephson Artwork – L’œuvre de Nancy Josephson
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